[Top 100] « Quatre grands défis pour la profession »
Panorama du marché des grossistes distributeurs foodservice - Entretien réalisé le 22 juin.
Zepros Distributeurs RHD 17 Spécial Top 100 - Edition 2023
Quel bilan dressez-vous pour les grossistes du foodservice en 2022 ?
Philippe Barbier : Il faut bien sûr prendre des précautions d’usage, à savoir que l’inflation alimentaire perturbe toute analyse de chiffres sur 2022 et 2023. Selon les chiffres de Gira Foodservice, qui reposent sur des données déclaratives, je constate que, malgré la reprise en 2022, le marché alimentaire hors boissons ne retrouve pas tout à fait son niveau de 2019 en nombre de repas. Il semble ainsi que l’on soit encore à - 13 % en restauration commerciale indépendante, segment qui représente presque la moitié des produits que vendent les grossistes à la restauration, soit 10 Md€ sur 21 Md€. N’oublions pas que janvier et février 2022 étaient toujours pénalisés par le variant Omicron et des restrictions d’ouverture. La restauration commerciale chaînée semble être la gagnante de 2022 avec un nombre de repas qui n’aurait baissé que de 7,5 % par rapport à 2019.
Les grossistes ont retrouvé à peu près le niveau de vente qu’ils faisaient en restauration commerciale indépendante, tandis que leurs ventes en restauration commerciale chaînée ont augmenté. La restauration collective, quant à elle, a vu son nombre de repas baisser de 6,5 %, et ce, d’une façon équivalente en gestion directe et en concession. Au global, l’activité de la restauration hors domicile, hors boissons, serait à - 3 % en valeur.
Que ressort-il de votre baromètre d’activité du commerce de gros pour le 1er trimestre 2023 ?
Philippe Barbier : L’alimentaire est ce qui marche le mieux mais c’est aussi là où l’inflation est la plus forte. L’inflation de l’alimentaire est supérieure au rythme de l’inflation moyenne française. Notre baromètre du 1er trimestre 2023 révèle ainsi une inflation globale de 6 %, et, en alimentaire, de 15,9 %. Les entreprises ont essayé de répercuter des hausses de matières premières, d’emballages, d’énergie, de transport, de salaires.
Isabelle Bernet-Denin : Si l’on reprend les différents segments de produits, le chiffre d’affaires des surgelés, des produits laitiers, de l’épicerie et des boissons progresse plus fortement que la moyenne qui est autour de + 15,2 %, et, à l’inverse, la hausse d’activité sur le segment fruits & légumes est inférieure à celle des produits agricoles alimentaires dans leur ensemble.
Quels sont les grands défis de la profession ?
Philippe Barbier : Ils sont au nombre de quatre. Le premier grand défi est de marier la souveraineté alimentaire, une alimentation de qualité et une équation économique. Si en restauration commerciale, indépendante ou chaînée, le restaurateur est libre de répercuter des hausses dans ses prix, en restauration collective, il s’agit de marchés publics et de budgets alloués bloqués. Il y a là un défi politique pour notre organisation qui n’est pas fini, même si la CGF a remporté un certain nombre de victoires, comme le fait de demander que les marchés publics intègrent des clauses de révision des prix suite à ces problèmes d’inflation.
Isabelle Bernet-Denin : Le pourcentage d’appels d’offres infructueux a beaucoup augmenté et se situe désormais à 24 % alors qu’il était précédemment de 8 %. Des stratégies de désengagements sont en réflexion tant côté industriels que grossistes.
Philippe Barbier : C’est un défi que nous devons traiter en filière en liaison avec la FNSEA et la Coopération Agricole bien évidemment, et aussi avec l’aide du SNRC, du SNRS et de Restau’Co. Il faut que l’on continue à mettre la pression sur deux choses : des marchés publics plus souples, plus intelligents, avec des clauses de révision, etc., d’une part, et une revalorisation des budgets, d’autre part. Cela concerne essentiellement la santé et l’enseignement.
Isabelle Bernet-Denin : Malgré les évolutions que l’on obtient, c’est la mise en œuvre qui est difficile : il y a des souplesses et des adaptations, mais on constate que les collectivités locales n’arbitrent pas forcément en faveur de la réévaluation des budgets de la restauration collective.
Philippe Barbier : Le deuxième défi de la profession concerne la logistique urbaine. Nous nous en occupons, avec d’autres. Ce sont des défis importants mais nous devrions y arriver car la logistique urbaine dépasse le seul cadre alimentaire. Il s’agit ici de rendre nos professions vertueuses et en même temps de faire notre travail. Cela reste compliqué parce qu’il faut adapter les flottes de camions. Nous espérons conserver les diesels Euro 6 jusqu’en 2030 au moins et basculer progressivement sur l’électrique qui semble, à date, être la moins mauvaise solution.
Le troisième défi est humain. Il faut continuer à attirer des talents et les fidéliser : chauffeurs-livreurs, préparateurs de commandes et même commerciaux. Nous devons pousser au dialogue social. Il faut jouer ici sur toutes les touches du piano - intéressement, partage de la valeur, conditions de travail, accueil, environnement, sécurité au travail, etc. - mais il ne faut pas oublier la touche salaire.
Isabelle Bernet-Denin : En 2022, nous avons négocié 8 % d’augmentation sur la grille des salaires de la convention collective des commerces de gros. Il s’agit bien sûr de minimas conventionnels mais qui constituent un indicateur en termes de pourcentage d’augmentation pour des TPE et PME. Pour 2023, un accord vient d’être signé, avec application au 1er juin, qui rehausse les minimas conventionnels de 4,6 % pour les non-cadres et 3,8 % pour les cadres. Nous essayons aussi d’intervenir sur d’autres éléments de rémunération : la prévoyance, la mutuelle, l’intéressement, etc. afin de donner une boîte à outils aux entreprises.
Philippe Barbier : Le quatrième défi concerne l’économie circulaire et les REP, responsabilité élargie des producteurs : REP Emballages Restauration et REP Emballages industriels et commerciaux. Il faut que nous soyons ici un peu plus proactifs sur la gestion des déchets. Les grossistes peuvent avoir un rôle plus important qu’ils ne le croient et il y a des industriels avec lesquels ils pourraient travailler en matière d’écoconception. Il faut là aussi avoir une réflexion en filière.