[Interview adhérent] Sophie Meric, Réseau Le Saint
Merci à Sophie MERIC, Directrice du développement multi-métiers, Grand Sud-Ouest, Réseau Le Saint et également Directrice de région Nouvelle Aquitaine et Occitanie de Sobomar Atlantique de nous avons accordé le temps de cet entretien, et d'avoir partagé avec nous son expérience et son regard sur les enjeux de la filière.
Nouvelle saison, nouvelle interview adhérent ! Cette fois, nous découvrons de nouvelles facettes du métier de grossiste, au féminin.
Une interview passionnante qui montre comment la valeur ajoutée de nos métiers se construit au fil du temps, par la passion et la reconnaissance du travail de chacun.
Pouvez-vous nous présenter votre entreprise, en quelques mots ?
Le Réseau Le Saint, entreprise familiale bretonne, à l’origine grossiste en fruits et légumes, a su se développer dans différents métiers. En 2002, à la suite d’une demande client, le réseau a intégré l’activité de marée, qui comprend aujourd’hui trois enseignes : Cap Marée, Sobomar Atlantique et Top Atlantique.
Le réseau comprend 2400 collaborateurs, avec une présence sur l’arc Atlantique, mais aussi sur la Manche et la Méditerranée. En plus de ses 12 sociétés spécialisées dans les fruits et légumes, ses 3 entités spécialistes de la marée font de la production, de la transformation et du commerce. Nous avons également des divisions dédiées aux BOF, au vin, à l’hygiène, aux fleurs, à la viande et à la volaille…
Nos valeurs sont celles de la convivialité, de la cohésion, de l’engagement, de la proximité, de l’honnêteté et du respect. De la combativité aussi, parce qu’il en faut dans notre métier, mais surtout celles de l’humilité et de la reconnaissance du travail de chacun.
Votre rôle au sein du Réseau Le Saint est en pleine évolution. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Petite fille de poissonniers sur le marché des Capucins à Bordeaux, je suis entrée dans le Réseau Le Saint, il y a 9 ans, suite au rachat de Sobomar. J’ai développé cette entreprise, créée par mes parents, d’abord sur le MIN de Bordeaux, puis sur Saint-Loubès avec un nouveau dépôt de 4500m2, et ensuite deux reprises d’activité à Toulouse et Saint-Geours, enfin la création d’un cash & carry ouvert aux poissonniers indépendants. Cette nouveauté dans le réseau nous a permis de traverser la crise en 2020, car la baisse de 50% ventes enregistrée dans le CHR a été compensée par les ventes aux poissonniers indépendants. La mutualisation des produits et de la logistique nous a permis également de passer ce cap.
En plus de mon rôle de Directrice de région Nouvelle Aquitaine et Occitanie de Sobomar Atlantique, je suis également Vice-Présidente de l’ACAAPP (Association Centre Atlantique des Acheteurs des Produits de la Pêche) pour la Nouvelle Aquitaine. Cette association d’acheteurs, créée depuis plus de 30 ans, servait au départ à répondre au besoin de sécuriser la filière. Certaines criées indépendantes, qui achetaient les poissons en direct, n’étaient pas assurées, et il est arrivé que des bateaux ne soient pas payés.
Mes prédécesseurs, dont mon grand-oncle qui a créé l’association, ont mis en place un support financier qui garantit aux pêcheurs le paiement de leur marchandise via des cautions. Cet engagement auprès de la filière nous permet d’en soutenir tous les acteurs, et de porter aussi ses intérêts auprès des autorités. Par exemple, nous intervenons auprès de la Région pour faire entendre les besoins de la filière marée, et accomplir des démarches pour l’interprofession. Notre objectif est de fédérer toute la filière, côté distribution et côté pêche.
Le Covid a mis en avant des incohérences entre les obligations réglementaires des poissonniers, devenues très contraignantes, et la criée en direct qui n’offre pas les mêmes garanties aux vendeurs et aux acheteurs. Nous voulons protéger tous les acteurs de la filière, et valoriser notre travail de grossistes sur le mareyage et le négoce.
Je suis également Référente marée Vivalya, et nous travaillons au sens de la filière pour la promotion des produits locaux. Pour l’instant, le seul produit de la pêche qui correspond aux critères au niveau national, c’est la truite. Nous travaillons dessus avec la Commission durabilité.
Depuis mai 2021, mon rôle au sein du Réseau Le Saint a évolué : je suis devenue Coordinatrice Développement Tous Métiers sur la Région Sud-Ouest, et à ce titre je suis chargée d’accompagner les Directeurs de site et de faciliter l’action commerciale. Par exemple, je peux intervenir auprès de la Région, de la CCI, au niveau du réseau… Je suis porteuse de la marque, je soutiens le développement commercial et j’assure notre présence auprès des instances politiques et au sein de la filière.
Je vais aussi à la rencontre des producteurs, qui sont eux-mêmes parfois organisés en réseau. C’est l’occasion pour nous de développer le local, et de faire évoluer la perception du rôle du distributeur. C’est aussi un travail qui passe beaucoup par le relationnel.
Comment voyez-vous le rôle des femmes dans votre métier ?
Dans les métiers de la marée et de la distribution il n’y a pas beaucoup de femmes, à part quelques dirigeantes : nous avons notre Directrice Qualité du Réseau Le Saint, il y a également une Directrice à la tête d’Armor Fruits et une Directrice des Achats chez Askell... C’est un métier difficile, qui demande beaucoup d’engagement et c’est parfois difficile à cumuler avec une vie de famille. Les femmes y gagnent leur place à force de prouver leurs compétences, et les hommes doivent apprendre à lâcher prise.
Pour ma part, j’ai commencé à travailler en poissonnerie avec mes parents, en juillet ’88. J’ai tenu tous les postes, de la préparation de commande à la caisse et aux livraisons, et j’ai été responsable de la logistique de nuit pendant presque 10 ans. En parallèle, j’ai fait mes études jusqu’au BTS, je me suis mariée et j’ai eu trois enfants.
En 2008, j’ai repris l’entreprise de mes parents, et en 2015 j’ai obtenu un Master de Kedge Bordeaux (Sup de Co) grâce à la VAE, et je suis aussi devenue capacitaire de transport ! La direction du Réseau Le Saint m’a soutenue dans cette aventure, qui m’a permis d’acquérir une vision stratégique des enjeux de l’entreprise, et aussi de la filière.
Si j’en suis arrivée là, c’est surtout grâce au respect des gens autour de moi. Je pense que « qui fait tout, fait rien », on ne fait rien sans les autres. Chacun a sa place, et cela fonctionne bien grâce à l’engagement, au respect et à l’humilité. C’est à nous d’aider les gens à bien travailler : on fait avec les gens, pas contre eux. Aujourd’hui j’ai la chance d’être dans le Réseau Le Saint, et je me réalise complètement grâce à la confiance de Denis Le Saint.
Comment avez-vous vécu la crise liée au Covid-19 ?
Pour faire face aux difficultés, il faut savoir rester réactif, trouver des solutions. En mai ’68, quand toutes les livraisons se sont arrêtées, mon père a pris son camion et a fait les allers-retours de Bordeaux en Bretagne pour chercher lui-même ses poissons.
C’est ce que nous avons fait à chaque fois qu’il y a eu des blocages, pendant les mouvements des gilets jaunes, et aussi pendant la pandémie liée au Covid-19. Il faut repartir au combat, donner l’exemple, et ne pas lâcher les clients. Notre service de cash & carry n’a jamais autant vendu que pendant la crise : les poissonniers indépendants avaient vraiment besoin de se ravitailler, et nous étions là !
Le local, c’est dans les racines du Réseau Le Saint. Comment cela se passe-t-il aujourd’hui pour la marée, et quelles sont les évolutions pour les fruits et légumes frais ?
Dans notre logique de développement, nous sommes au plus près des bassins de production pour satisfaire le client. La production locale est à la base de notre activité, nos marques sont développées grâce à l’ancrage local depuis plus de 50 ans.
Pour la pêche, nous soutenons la production sur la côte atlantique, mais nous complétons nos achats avec des produits d’origine des pays nordiques ou d’Espagne parce que la production locale ne suffit pas. J’ai étudié le dossier pêche en Nouvelle Aquitaine, un secteur qui représente chaque année 17 000 tonnes de produits vendus sur les criées de Nouvelle Aquitaine, pour voir si nous pouvions progresser sur la proximité. Malheureusement, nous ne pouvons pas créer un outil de production locale de filets parce qu’il ne serait pas rentable actuellement. Nos poissons partent donc en Bretagne pour être préparés, et reviennent sur nos marchés. Pour créer une usine de transformation locale, nous aurions besoin d’aides supplémentaires.
Mais nous avons de la chance dans cette belle région, nous avons beaucoup de produits locaux, notamment dans les fruits et légumes ! Et dans le Réseau Le Saint, nous avons des liens forts avec les producteurs, que la loi Egalim a permis de renforcer au niveau de toute la filière. Pour nous, la difficulté, c’est qu’il nous faut plus de producteurs engagés dans les bonnes pratiques, pour répondre à la demande !
Comment travaillez-vous avec les agriculteurs ?
Nous faisons partie des distributeurs qui accompagnent les producteurs. Nous nous engageons auprès d’eux via des conventions, qui portent sur les prix et sur les volumes. Charge à nous de faire valoir notre engagement et notre savoir-faire auprès des décideurs, tels que la Région, la DRAF…
Le cout de la logistique est trop élevé pour les producteurs, nous leur apportons ce service parce qu’il est l’une de nos compétences principales. Mais ils ont aussi besoin d’aide pour la partie administrative, par exemple pour répondre aux exigences de la loi Egalim en termes de certifications. Que ce soit pour la logistique ou pour l’administratif, nous cherchons avec les producteurs et les autres acteurs de la région les solutions les plus abordables possibles.
Ce sont des démarches vertueuses qui visent à apporter des services supplémentaires aux producteurs. Par exemple, pour valoriser le travail d’un producteur, il y a un énorme travail à faire pour créer les fiches techniques de ses produits, créer des contenus qui présentent son activité, comme des vidéos… Nous impliquons aussi nos clients, comme les grands groupes de restauration, dans ces initiatives. Cela nous permet d’exploiter les meilleures compétences des différents acteurs pour valoriser le travail de chacun.
Pour la pêche, nous y arrivons également, au travers d’engagements, et aussi par les liens que nous avons forgés avec les pêcheurs. Il ne faut jamais oublier d’où l’on vient, disait mon père, et je connais certains pêcheurs depuis mes débuts au marché des Capucins !
Chez Sainfruit, le local est aussi représenté par les Ateliers Régionaux, qui nous permettent de valoriser la production. Nous mettons en avant le producteur, nous faisons visiter son exploitation à nos clients… Cela fait plaisir aux agriculteurs et valorise leur travail.
Constatez-vous une envie de « mieux manger », de qualité, chez vos clients et chez les consommateurs français en général ?
Les Français sont en demande d’une meilleure alimentation, mais leur exigence dépend aussi de leur budget. A notre niveau, nous travaillons sur la qualité, la sélection, la traçabilité… Nous avons notre Directrice Qualité au sein du réseau qui travaille sur les indicateurs, et qui nous aide à avancer.
Nous avons aussi besoin de producteurs qui nous aident à porter la parole auprès de leurs collègues, pour aller vers une agriculture raisonnée qui donne des produits locaux de qualité, et leur permet de gagner leur vie correctement.
Quels sont les relais de vos valeurs et de vos actions au sein du Réseau, et au niveau local ?
Pour moi, fédérer les équipes est très important. A Saint-Loubès, dans le nouveau bâtiment de Sobomar créé en 2016, nous fêtons chaque anniversaire de l’entrepôt, en invitant les salariés avec leurs familles. C’est important pour nous que les conjoints et les enfants comprennent le travail de leur proche.
Ce travail de partage de valeurs se fait également au sein du Réseau Le Saint, de manière plus ou moins formelle. L’un des vecteurs que nous mettons en avant, c’est le sport, qui nous permet de partager des valeurs fortes autour du collectif, de l’esprit d’équipe.
Nous sommes investis auprès de très nombreux clubs professionnels et amateurs : BBH (Brest Bretagne Handball), le Stade Brestois, les Girondins de Bordeaux… Nous soutenons aussi les plus petits clubs de sport locaux, comme le Jumping de Villeneuve sur Lot ou le club de pétanque de Carcassonne, que nous avons créé. Les salariés qui en font partie y communiquent naturellement sur leur engagement, et nous tenons aussi à ce qu’ils aient un meilleur équilibre entre leur travail et leurs loisirs.
En quelques mots, que diriez-vous à vos partenaires (décisionnaires, restaurateurs commerciaux et collectifs, consommateurs…) pour valoriser/promouvoir la production locale ?
Afin de valoriser et promouvoir la production locale, nous devons être dans l’accompagnement des acteurs locaux. Nos agriculteurs ont besoin de l’expertise que nous connaissons très bien, la logistique.
Aujourd’hui, il leur est demandé de mettre en œuvre toute une démarche d’approche locale, mais pour cela, il faut pouvoir répondre à la demande 365 jours/an, ce qui dépasse leurs capacités et leurs compétences. En s’appuyant sur nous, nos acteurs locaux peuvent se consacrer à leur production, qui est le cœur de leur métier.
Dans notre rôle de grossistes, spécialistes des fruits et des légumes frais, et des produits de la marée, nous construisons avec eux une démarche gagnant-gagnant afin que les consommateurs - que ce soit les décisionnaires, les restaurateurs commerciaux et collectifs ou les foyers - puissent avoir le meilleur produit au meilleur moment. C’est notre valeur ajoutée !