[Top 100] Éric Dumont (Pomona) : « Faire partie de ceux qui vont tirer profit du rebond »
Entretien avec Éric Dumont, président du directoire du groupe Pomona.*
Comment s'est déroulé ce début d'année 2020 pour le Groupe Pomona ? Avant et après la fermeture des restaurants ?
Tout d’abord, il convient de rappeler que nous avons un exercice qui s’étend du 1er octobre au 30 septembre. Nous sortions d’une bonne année au cours de laquelle nous avons fait 3 % de croissance pour terminer à 4,100 Md€ de chiffre d’affaires. Toutes nos branches et tous nos segments ont progressé. Mais 2019 paraît tellement loin ! C’est presque un autre monde. Je pense que nous ne reviendrons pas à de tels niveaux avant 2022 ou 2023.
Fin 2019-début 2020, nous étions sur la même tendance de progression et puis tout s’est arrêté mi-mars. Toute l’activité à destination de la restauration commerciale a chuté de plus de 90 %, et même 95 % au début. L’activité à destination de la restauration collective a eu des comportements différents selon les segments : le scolaire a chuté quasiment de 100 %, les entreprises ont enregistré une énorme baisse de l’ordre de 85 à 90 %. En revanche, l’activité à destination des hôpitaux, des prisons, des armées, des maisons de retraite a continué à tourner.
Notre branche Délice & Création, à destination des boulangers-pâtissiers, a aussi enregistré une très grosse chute d’activité au début du confinement, pendant un mois et demi, car beaucoup de boulangers ont fermé. Puis, ils ont progressivement rouvert et l’activité est remontée, même s’il a toujours manqué le snacking associé au déjeuner. Celui-ci réapparaît désormais parce que tous les restaurants d’entreprise n’ont pas encore rouvert depuis le déconfinement.
Comment se passe la reprise ?
Nous sommes toujours en situation d’activité partielle car nous sommes loin du nominal. Nous sommes actuellement à environ 40 % de notre activité*. Avec encore un écart entre Paris et la province assez important ces dernières semaines et qui va progressivement se réduire avec le temps. Paris a redémarré plus tard et ne connaît pas encore une pleine activité. Les restaurants des quartiers de bureaux ne travaillent pas le midi, ceux des quartiers touristiques ne sont actifs ni le midi ni le soir. Il n’y a que les établissements des quartiers résidentiels qui travaillent plutôt bien, midi et soir.
Avez-vous été amené à fermer des entrepôts ?
Non, aucun. Au pire moment, lorsque les volumes étaient très faibles, nous n’étions ouverts qu’une ou deux journées par semaine et nous concentrions les livraisons, mais tous nos entrepôts ont maintenu un minimum d’activité.
Quelles étaient vos relations avec les clients ?
Nous sommes restés très proches et avons soutenu nos clients dès la fermeture. Les annonces d’Emmanuel Macron puis d’Édouard Philippe ont été extrêmement brutales, ils n’ont donc pas eu le temps de s’organiser. Il a fallu que nous récupérions tout ce qui avait été commandé et qui ne pouvait pas être annulé. Ensuite, nous avons facilité l’étalement des échéances de paiement. Nous sommes dans un métier où les clients nous paient en décalé, nous avons donc fait un gros travail avec nos équipes commerciales et nos équipes comptables auprès de nos clients pour essayer de diminuer le montant des encours. Cela s’est bien passé grâce aux aides de l’État qui ont permis aux restaurateurs de payer leurs fournisseurs. Enfin, nous les avons aidés à préparer la reprise.
Comment accompagnez-vous vos clients ?
En leur proposant à la fois une offre produits adaptée à leur contexte et des solutions pour mettre en place les protocoles sanitaires. Entre le 12 mai et le 2 juin, nous avons été très offensifs pour présenter aux clients des kits d’hygiène pour le redémarrage, par exemple. Nous les accompagnons aussi en étant plus souples d’un point de vue logistique et en augmentant de façon transitoire les jours de livraison, notamment pour les produits frais.
Quelles sont vos prévisions pour le second semestre ?
C’est encore compliqué d’avoir une vision précise, mais la situation devrait s’améliorer cet été grâce à l’activité sur les lieux de villégiatures. Ensuite, si l’on se projette à la rentrée, le point-clé c’est la réouverture des écoles. Outre le business de la restauration scolaire, les entreprises vont pouvoir récupérer leurs salariés ce qui fera marcher la restauration d’entreprise, et nous permettra de revenir à une activité presque normale. En revanche, nous pensons qu’en restauration commerciale nous allons avoir un nouvel étiage et que nous ne reviendrons pas au niveau historique d'activité avant deux ans. Les touristes internationaux ne sont plus à Paris ni sur la Côte d’Azur. Je pense que nous terminerons l’année 2020 avec une activité en baisse de 25 %. Le marché dans son ensemble va baisser et tout le monde ne tirera pas son épingle du jeu. Chez Pomona, nous avons l’ambition de faire partie de ceux qui vont tirer profit du rebond. Nous pensons que nous avons la capacité de le faire, à la fois financière, organisationnelle, et grâce à la mobilisation de nos équipes.
Quelle leçon tirez-vous de cette crise ?
La leçon à tirer, c’est qu’il vaut mieux entrer dans une crise comme celle-ci en bonne santé financière plutôt que malade. La diversification aide également un peu à répartir le risque. Mais cela est une crise inédite que personne ne pouvait prévoir.
Je ne pense pas que le monde d’après sera très différent du monde d’avant dans notre métier. Il y avait des tendances qui étaient en chemin et qui vont s’accélérer. Du point de vue consommateurs, c’est le cas de la livraison à domicile et de la vente à emporter. Du point de vue de nos clients restaurateurs, c’est le cas de la commande en ligne. À titre illustratif, pendant la crise, notre site marchand a proportionnellement mieux fonctionné qu’avant. Le télétravail va également se développer et aura un impact sur la restauration d’entreprise.
Qu’en est-il en matière de projets ?
Nous avons tout arrêté pendant trois mois. À la fois pour des raisons d’économies et parce que le peu de collaborateurs en activité était concentré sur l’opérationnel et l’urgent. Nous allons progressivement redémarrer les projets à long terme, en les repriorisant, mais cela ne se fera véritablement qu’à la rentrée. Nous avons souscrit un PGE, ce qui nous donne de l’air et nous met en capacité de poursuivre notre développement et de continuer à investir.
Vous n’irez pas au Sirha en 2021. Pourquoi ?
Parce qu’il y a encore beaucoup d’incertitudes aujourd’hui sur les manifestations rassemblant un grand nombre de personnes et parce que le Sirha, tel qu’il aura lieu en 2021, ne sera probablement pas un Sirha normal. Ce salon est historiquement un lieu de convivialité, destiné à rencontrer nos clients et partenaires dans un contexte chaleureux, ce qui est complètement antinomique avec les précautions que nous devons prendre aujourd’hui. Cela ne nous paraissait donc pas opportun d’y aller.
Ce qui nous importe, c’est que nos clients rouvrent et nous préférons concentrer toutes nos forces pour mieux les accompagner dans cette période difficile.
*Entretien réalisé le 26 juin.
Propos recueillis par Jean-Charles Schamberger