Chloé Labiche

[TOP INDEPENDANTS 2022] « Nous avons dompté la précarité »

Michel Porcel
P-DG
Restoleil
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Michel Porcel

N°5 AUVERGNE -RHÔNE -ALPES Avec une cinquantaine d’établissements saisonniers (hiver et été) et un chiffre d’affaires qui devrait atteindre les 30 M€ en 2022, le groupe Restoleil sort vaillamment de la crise. Le groupe a continué à investir, innover et prépare, malgré les vents contraires, de nouvelles ouvertures. Entretien avec son dirigeant, Michel Porcel.

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Où en est Restoleil ? Comment le groupe sort-il de la crise ?        
Michel Porcel

En 2021-2022, nous avons fait une saison d’hiver extraordinaire. Dans le top 3 des meilleures de tous les temps. Puis, en 2022 nous avons enregistré notre plus bel été. Sur l’hiver nous avons fini à + 6 % par rapport à 2019. Sur l’été nous avons fini à +12%/+14%. Nous avons bouclé une belle année au 30 septembre. Nous sommes sur un grand cru avec un chiffre d’affaires qui devrait être autour des 30 M€ (contre 19 M€ pour 2021). En 2021, nous étions fermés l’hiver, même si nous avons enregistré une très grosse progression l’été nous avons fait logiquement moins de chiffre. De toute façon, nous avons appris à vivre dangereusement ! (rires) Il faut avoir l’esprit d’aventure et pas d’états d’âme, ne pas trop se poser de questions et prendre au fur et à mesure les événements qui arrivent. En saison, la réactivité nous n’en manquons pas, nous sommes rodés.                                            
                                                                 

Comment faites-vous face à la hausse des prix ?  
Michel Porcel

Ce qui pondère un peu ces bons résultats estivaux, c’est en effet l’inflation. Nous l’affrontons de différentes façons : avec une augmentation des prix, tout d’abord, de l’ordre de 5 à 6 % sur nos cartes l’été dernier. Nous n’avons pas senti, dans nos analyses qualité, de reproches de nos clients. Nous avions un peu peur, mais c’est passé. Avec des salaires qui ont grimpé de 10 à 12 % et des produits jusqu’à 10 %, nous avons dû modifier certaines recettes, supprimer les produits qui avaient augmenté de manière prohibitive. En dernier lieu, nous avons essayé de nous améliorer en productivité. L’un dans l’autre, nous avons plutôt bien amorti ces augmentations et n'avons perdu qu’un point de prime cost. Cela aurait pu être pire, je suis content de ce résultat.

Dans quel état d’esprit abordez-vous 2023 ?
Michel Porcel

Bien entendu, nous nous tenons au fait de ce qui se passe quotidiennement, notamment au niveau des prix qui continuent de flamber. Nous avons beaucoup de fournisseurs avec qui nous avons réussi à fixer les prix jusqu’à début janvier. C’est du jamais vu ! Historiquement, ils s’engageaient pour toute la saison d’hiver. Aujourd’hui, ces mêmes fournisseurs ne s’engagent que jusqu’au 15 janvier, par manque total de visibilité. Nous restons très vigilants, nous nous organisons afin d’être extrêmement réactifs après les fêtes selon la conjoncture. Si les prix stagnent, on ne change rien, si cela baisse on réadapte certains tarifs, si cela monte il faudra réfléchir et agir parfois avec des augmentations pour pouvoir préserver nos marges. C’est inédit de devoir remettre en cause en cours de saison la tarification.

Est-ce que cela a changé vos rapports avec vos fournisseurs ?
Michel Porcel

Cela n’a pas renforcé les liens mais cela ne les a pas altérés non plus. En revanche, nous avons un peu plus de mal à établir un rapport de force favorable pour négocier. Même si nous faisons confiance à nos fournisseurs, il y a toujours un doute, voire un peu de suspicion. Nous leur demandons de se justifier sur ces augmentations mais nos relations restent excellentes et claires. Nous sommes en discussion permanente alors que, avant, nous nous parlions deux à trois fois par an : les cours de l’été et les cours de l’hiver. Pour certains produits c’est quasiment à la semaine, pour d’autres c’est au mois.

"Il faut avoir l'esprit d'aventure et pas d'états d'âmes."

Comment appréhendez-vous la flambée du coût de l’énergie ?
Michel Porcel

C’est un vrai problème. L’été, du fait de la météo clémente, les énergies c’est à peu près 2,5 % à 3 % du CA dans nos restaurants. Sur l’hiver, nous sommes entre 4 et 6 % selon les sites. Si vous prenez une hausse de 50 %, c’est ingérable. Et cela sans parler de l’augmentation des produits. Nous avons deux ou trois restaurants, sur les 26 que nous gérons l’hiver, sur lesquels ce sera un vrai problème. Nous attendons de voir si l’État se prononce réellement quant aux aides. Notre chance est que nous avons un contrat avec un fournisseur d’énergie qui court jusqu’à 2024. Nos prix sont bloqués pour cet hiver en tout cas.                       
                         
 

Et pour ce qui est du volet RH, est-ce toujours aussi difficile ?    
Michel Porcel

La saison est le royaume de la précarité. Nous l’avons domptée en équilibrant les deux saisons, hiver et été, pour être plus efficaces dans l’exploitation et pour fidéliser au mieux le personnel. Cela paye puisque nous sommes complets en termes de recrutement. On s’éloigne de l’effet traumatisme Covid. C’est vraiment une tendance : le marché de l’emploi se détend un peu en restauration. D’autant plus rapidement pour les professionnels qui ont pris certaines mesures, notamment ceux qui ont révisé leurs grilles de salaire, revu les conditions de travail de leur personnel (hébergement, intégration de journées continues, formation...). Soigner l’outil de travail est aussi incontournable. Pour avoir un bon chef de cuisine, il faut une belle cuisine. C’est comme un cocktail bien équilibré, il faut brasser ces différents paramètres dans de justes proportions. Si vous misez tout sur le salaire mais que le reste est déplorable, cela ne suffira pas.

Quelles sont les tendances qui animeront la restauration de demain ?
Michel Porcel

Les gens jugeront un établissement avec un nouveau critère qui va monter en puissance, c’est tout ce qui est RSE. Les écogestes deviendront un réflexe. Nous partons d’ailleurs la semaine prochaine en séminaires avec nos encadrements à Milan. C’est la première fois depuis le Covid que nous organisons un séminaire global avec nos équipes. Tous nos managers, chefs de cuisine, tout l’encadrement Restoleil et les membres du siège. Le volet RSE sera un des thèmes majeurs que nous aborderons en ateliers. Il y aura aussi, de manière plus simple, des fondamentaux un peu oubliés comme le sourire. Cela peut paraître bête de demander aux gens de sourire mais c’est important. Pendant cette période anxiogène, nous avons perdu en spontanéité, en joie de vivre... Il faut désormais se relâcher.

Deux ouvertures cette saison

« Même pendant la crise Covid nous avons continué à prendre des risques et à investir », se félicite Michel Porcel. Restoleil s’est, en effet, lancé dans l’hôtellerie en partenariat avec le groupe Chalet des Neiges sous la marque Base Camp Lodge, en 2019. Cette joint-venture affiche aujourd’hui deux établissements, à Bourg-Saint-Maurice et aux Deux-Alpes, prépare un troisième hôtel et vient d’acquérir un chalet d’altitude, L’Arpette, aux Arcs. Ce dernier présentera une offre de restauration de piste tendance et festive et pourrait se décliner sur d’autres stations si la formule prend. Dans le cadre de Restoleil en solo, un nouveau restaurant de front de neige baptisé La Bergerie ouvre cet hiver à Sainte-Foy-Tarantaise. « On ne s’interdit pas l’acquisition de plages ou de restaurants de bord de mer 100 % Restoleil », confie Michel Porcel.

Chloé Labiche
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