Le coup de gueule… et les propositions d’un patron de PME

Jean-Charles Schamberger
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ROQUES Lionel

Ecriture fluide, titres de chapitres provocateurs, constat sévère mais lucide sur les craquements de notre société et son rapport avec le monde du travail… En 160 pages, Lionel Roques, multi entrepreneur « de profession, de passion et de terrain », défend le rôle clé de l’entreprise et propose des pistes de réflexion à nos dirigeants.   

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FOCUS

Dans son livre « Laissez-nous bosser ! Le coup de gueule d’un patron de PME contre les aberrations du monde du travail », réalisé avec Isabelle Lasserre, journaliste au Figaro, et paru en février aux Editions de L’Observatoire, Lionel Roques, propriétaire entre autres des restaurants Le Floris et Le Père Joseph, défend ardemment le monde de l’entreprise et les entrepreneurs contre tous les freins qui ses dressent sur leur chemin, à commencer par les excès de bureaucratie.

Dès les premières pages de son ouvrage, Lionel Roques, devenu « un entrepreneur tous terrains, à cheval entre l’événementiel, la production de fictions, la communication et la restauration », raconte sa jeunesse et ses débuts professionnels sans détour. Enfance à Annemasse (74), études médiocres (mauvais élève, il a depuis fait depuis du travail une valeur cardinale !), BTS de pub, création d’entreprise à 25 ans, dépôt de bilan à 33 ans…  C’est un rebond, quelques mois plus tard, avec le producteur de films publicitaires Jacques Arnaud, qui va tout changer, avec notamment la fondation réussie et prometteuse de la société de production Franco American (3 pôles, 25 employés en 2019). La crise du Covid l’incitera ensuite à se diversifier dans la restauration, d’abord en Suisse, près de Genève, avec Le Floris fin 2020, puis en France, à Rueil-Malmaison (92) avec Le Père Joseph en 2022. « Plus la société investissait dans le distanciel, plus je révisais la stratégie du groupe pour investir dans le présentiel », déclare ce spécialiste de l’événementiel. Avec ses équipes et son fils Vincent, désormais à la tête du pôle restauration, le président de la Franco American (devenue en 2022 la Franco European, avec 4 pôles et 100 salariés) décide donc de transformer ses deux restaurants « en lieux à vivre tout au long de la journée ».

Farouchement opposé à l’abus du télétravail et à l’abus de bureaucratie, ardent défenseur des entrepreneurs car « nous allons de plus en plus avoir besoin d’eux dans les années à venir », et fervent activiste du vivre-ensemble face à l’« entreprise bashing » qu’il détecte dans de nombreuses strates de la société, Lionel Roques décide alors d’envoyer une bouteille à la mer. Le 15 juin 2023, il écrit au Président de la République, l’alerte sur la situation des TPE-PME, demande une baisse des charges salariales, des charges patronales et un gel des nouvelles normes… En l’absence de réponse, la lettre devient un livre.

"Rien de mieux que les entreprises pour produire de l’argent"
Le constat de départ de Lionel Roques est simple et de bon sens : alors que s’amassent dettes et déficits, la France a un besoin impérieux de produire plus de richesses pour les années à venir (p.17), et, comme on n’a pas encore trouvé mieux que les entreprises pour produire de l’argent (c’est-à-dire de la richesse et des emplois) : « il va donc falloir les laisser bosser ».

Dés lors, le patron de la Franco European pointe tous les obstacles à l’entrepreneuriat et au travail : abus de bureaucratie et de taxation, abus de smartphone et de télétravail quand celui-ci est une rupture entre l'entreprise et le salarié. Il dénonce l’inculture des politiques en matière d’économie du quotidien (seuls, à ses yeux, les maires ont compris à quoi sert un entrepreneur), ainsi que de nombreuses idées aberrantes (vente à perte sur l’essence, campagne de l’Agence de transition écologique pour ne pas acheter, lois et plans inapplicables, État qui ne respecte pas les consignes qu’il donne aux entreprises, effets désastreux des 35 heures, statut d’autoentrepreneur…). Il s’inquiète bien sûr aussi de tout ce qui pénalise les classes moyennes, lesquelles représentent la grande masse des salariés « qui bossent ».

Pour Lionel Roques, les PME et les salariés sont les deux dernières digues de la France et menacent de céder : « Si elles lâchent, le chaos s’installera en France pour longtemps. Car elles sont les deux derniers remparts de l’économie et de la société. » (p. 25). Estimant que le pays est au tout début d’une vague majeure de fermetures d’entreprises, il cite en exemple les souffrances de la restauration (p. 33).

Des propositions pour s’en sortir
Tout n’est pas perdu pour autant. « Si je n’étais pas optimiste, je ne serais pas chef d’entreprise ! », rappelait Lionel Roques le 24 avril dernier, au Père Joseph, lors d’une soirée de présentation de son livre. C’est pourquoi, il lance en fin d’ouvrage de nombreuses pistes « pour changer de modèle » et invite à se poser aussi des questions sur des sujets où l’on a parfois tendance à répondre rapidement que c’est impossible avant d’avoir réfléchi. Par exemple : « autoriser le travail des clandestins, le temps que leur dossier soit étudié dans les préfectures ». Au travers d’une page et demie, Lionel Roques témoigne également toute son admiration pour les femmes de plus de 50 ans « qui représentent souvent le socle et la colonne vertébrale des entreprises » (p.131).

Pour remettre la France au travail, le président de Franco European invite à développer le concept de « PME nation », augmenter les salaires, réduire la bureaucratie, baisser les charges, faire participer les entreprises étrangères qui font du chiffre d’affaires mais ne produisent pas en France au financement du modèle social français, arrêter de faire financer la solidarité nationale par les salariés et les entreprises, encourager le capitalisme familial… Pour Lionel Roques, un entrepreneur ne renonce pas : « oui, il faut y croire ! ».
 

ECLAIRAGES

« Nous voyons des choses que les autres ne voient pas »

Le 24 avril dernier, au Père Joseph à Rueil-Malmaison (92), Lionel Roques et ses équipes invitaient à un premier événement littéraire en partenariat avec la librairie rueilloise Les Extraits. L’occasion de présenter son livre au travers d’un entretien-débat animé par Ludovic Tichit, journaliste institutionnel chez Yucatan. Extraits.

Le télétravail, sujet clivant…
« Le télétravail est une réponse insatisfaisante à un vrai problème. Il y a un problème de transports et de coûts immobiliers. Si tout le monde habitait à 20 minutes de son lieu de travail, il n’y aurait pas de télétravail.
Le télétravail fait exploser tout le commerce. S’il est généralisé, c’est un poison dans l’entreprise qui pose le problème de l’intégration des jeunes.  
Nous, patrons de PME, nous voyons des choses que les autres ne voient pas car nous sommes dans la réalité immédiate. Le travailler-ensemble est le début du vivre-ensemble. »

Les classes moyennes 
« Tout le monde dans cette salle fait partie des classes moyennes. Ce n’est pas une question de revenus. Il y a des classes moyennes qui gagnent beaucoup d’argent, qui gagnent moyennement d’argent, et qui gagnent peu d’argent. Nous ne ferons jamais partie de la France d’en haut. Je la fréquente à l’occasion d’événements : nous n’en ferons jamais partie. Il y a un mépris, quels que soient les revenus que vous pouvez avoir. Il faut bien avoir cela en tête. Cela explique beaucoup de choses ensuite sur l’incompréhension qu’il peut y avoir de la part d’une grosse partie du pays. »

Le modèle social français
« Le modèle social français repose sur les salaires. Je propose d’instaurer une taxe sur le chiffre d’affaires qui permettra au moins que l’entreprise qui vend en France sans rien produire en France, et qui donc profite de notre modèle social, finance aussi ce modèle. Ce modèle social met en tension les salariés et les PME. Il faut donc revoir ce modèle et commencer à dire à nos grands groupes : que peut-on faire maintenant pour que vous réinvestissiez en France et que vous lâchiez un peu de lest sur vos conditions d’achats ? »
 

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2 LIVRE LAISSER-NOUS BOSSER Lionel Roques

MORCEAUX CHOISIS

Le rôle des entreprises
« Une bonne partie des problèmes de la France peuvent être résolus par les entreprises. Encore faut-il leur en donner les moyens. Le réel ne doit plus se soumettre à la bureaucratie mais comme l'État est lui aussi touché par la pénurie de personnel, on peut espérer qu'il va affecter les fonctionnaires au tâches prioritaires. Les emplois supprimés par l'IA doivent être recréés là où on en a besoin et contrairement à ce que peuvent penser les politiques, ce n'est pas que dans le numérique et dans la virtualisation, loin de là ! » (P.141)

Réduire les charges
« Le Smic est exonéré de charges patronales, mais non les salaires plus importants, ni les augmentations de salaires. Tout pourrait changer rapidement si l'État réduisait enfin de manière drastique les charges salariales et les cotisations patronales des entreprises, afin de leur redonner de l'air, de l'énergie, de la confiance et de la visibilité économique. Mieux vaudrait instaurer une taxe non récupérable de quelques pourcents sur le seul chiffre d'affaires des entreprises et baisser les charges. Cela permettrait entre autres choses d'augmenter les salaires. » (P.144)

Encourager le capitalisme familial
« Il ne devrait pas y avoir de droits de succession sur les parts d'une entreprise, sauf bien évidemment si les héritiers décident de la vendre, car chaque pourcentage donné à l'État affaiblit ladite entreprise. Le capitalisme familial doit être encouragé, parce qu'il est porteur de valeur, est attaché à la France et qu'il permet de ne pas faire peser sur nos salariés le poids de la dette du rachat des actions. L'État français a tout à y gagner. Quand les entrepreneurs familiaux restent propriétaires de leurs actions, ils investissent dans le pays, créent des emplois pérennes et même parfois subventionnent les Restos du cœur ou le chantier de Notre-Dame. » (P.150-151)

Un entrepreneur ne renonce pas
« Je veux continuer à me battre pour mes fils, qui rentrent peu à peu dans le groupe familial. Mais aussi pour mes salariés les plus jeunes, à qui j'ai envie d'offrir un travail qui les épanouissent et leur permettent de vivre correctement. Et même, soyons fous, de vivre bien. Un entrepreneur ne renonce pas, sinon ce n'est pas un entrepreneur. Et donc on se bat sur tous les fronts pour ce qu'on nous annonce comme inéluctable n'arrive pas ! » (P.153-154)
 

Jean-Charles Schamberger
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