« Je crois à un syndicalisme moderne »
A quelques jours du congrès national de l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie (Umih), qui se tiendra à Angers (49) du 28 au 30 novembre, Thierry Marx président confédéral, a accordé un entretien exclusif à Zepros Resto. Au cours de celui-ci, il revient sur sa première année de mandat et évoque les dossiers en cours.
Entretien réalisé le 17 novembre.
Nous sommes dans une zone de turbulences. La Banque de France nous dit quand même que 7 000 TPE-PME de l’hôtellerie-restauration sont en défaillance, et la demande nous montre que nous avons une vraie chute après les événements de la guerre au Moyen-Orient. S’il ne faut pas s’alarmer -nos adhérents sont des hommes et des femmes dans la résilience et l’adaptabilité, ils réagissent plutôt bien- il faut toutefois rester vigilant, car le marché fait que nous avons une permanence de gestions de crise et de montagnes russes. Nos affaires n’ont pas une trajectoire forcément linéaire.
Mon bilan personnel renforce ma conviction qu’il faut se diriger vers un syndicalisme patronal beaucoup plus moderne, beaucoup plus réactif et dans l’anticipation, plutôt qu’être un modèle de contestation. Il faut montrer qu’un syndicalisme patronal moderne est dans la capacité à proposer des solutions, des transformations, et d’accepter ce moteur de réformes que je dois absolument mettre en place à l’Umih. Il y avait un fonctionnement qui était certes très XXe siècle mais hélas l’actualité nous montre qu’il faut être extrêmement réactif et que les dossiers sont très complexes. Tel, celui du DMA -Digital Markets Act- sur lequel il faut être très au fait de ces plateformes numériques qui, aujourd’hui, sont venues chercher des parts de marché, parfois avec beaucoup d’agressivité. On ne pourra pas ne pas réagir à cela. Réagir veut probablement dire s’adapter mais il faut quand même être en vigilance.
Le constat de l’année passée montre que je ne me suis pas trompé sur mon mandat lorsque j’ai proposé : communication interne, communication externe, travail sur l’attractivité métiers, impact social de nos métiers et impact environnemental. Nous avons bâti une task-force dès mon arrivée à l’Umih pour voir tout ce que l’on avait à traiter et à mettre en perspective.
Et puis, il restait sur la table quelques dossiers qui nécessitaient un peu plus de clarté, comme la Prévoyance Santé, qui est un sujet important, et aussi tout ce qui a rapport au titre-restaurant, notamment sur les commissions des émetteurs. Nous avons vraiment envie d’aider nos confrères et consœurs dans leur activité au quotidien et nous voulons être une force d’anticipation afin de trouver des solutions.
Ce qui est mal perçu par les confrères et les consœurs, c’est cette volte-face : on s’engage, on promet que ça s’arrêtera, et finalement ça dure... La profession se trouve rançonnée au final.
Non, je n’ai pas eu encore de réponse d’Elisabeth Borne. J’ai eu un coup de téléphone du cabinet d’Olivia Grégoire. Au moins, avec Bercy, nous avons une discussion franche et affirmée.
Ce qui est mal perçu par les confrères et les consœurs, c’est cette volte-face : on s’engage, on promet que ça s’arrêtera, et finalement ça dure... La profession se trouve rançonnée au final. Et je pèse mes mots, car ce type d’argumentation fait perdre 200 M€ à des entreprises qui sont par ailleurs en train de rembourser les Prêts garantis par l’Etat, qui subissent une augmentation de plus de 25 % du coût de l’énergie, une augmentation du coût des matières premières, plus l’augmentation des salaires. L’inflation, elles la vivent aussi. Il n’y a donc pas de raison de déshabiller Pierre pour habiller Paul en se disant que les restaurateurs, même s’ils râlent un peu, n’ont qu’à bien se tenir.
Je trouve que c’est un manque d’imagination. Si Bercy veut inventer un titre-alimentation, un titre-caddie, ce qui permettrait aux entreprises de redonner un peu de pouvoir d’achat à leurs salariés, nous le soutiendrons, mais laissons ce qui a été créé pour les restaurateurs. N’oublions pas que le titre-restaurant est à but social. Je vous donne un chiffre : en 2023, la grande distribution a vu sa part de marché titre-restaurant augmenter plus de 6 %. Dans le même temps, celle des restaurants diminuait de 3 %. Je suis désolé mais la grande distribution n’a pas besoin de la restauration pour améliorer ses parts de marché.
Il faut réussir le défi de l’impact social pour que l’on réussisse vraiment celui de l’impact environnemental. Avec Ludovic Poyau, hôtelier-restaurateur dans le Loir-et-Cher et président de la commission développement durable à l’Umih, nous avons créé une task-force environnement pour permettre, avec l’Ademe, de réfléchir à ce que sera demain un hôtel, un restaurant. Quels matériels ? Quels types de formations ? Pour avoir un impact environnemental réduit sur l’activité touristique qui, globalement, est une activité polluante.
La communication également. Comme sur tous nos sujets stratégiques, il nous faut changer d’ère à la fois sur la forme et sur le fonds. Il n’y a plus de débat à propos de l’usage des réseaux sociaux. C’est là que se noue désormais une partie des liens et des échanges qui concernent notre profession. Nous devons y être, tout simplement, pour apporter nos messages, pour communiquer sur nos idées, pour discuter, expliquer…
Mais nos adhérents sont également en droit de pouvoir être en interaction plus directe avec nous. Les réseaux le permettent. Mais nous allons également imaginer des formes d’interaction plus internes à l’Umih. Il faut que nos modes de communication soient encore plus au service du fond. C’est pourquoi, dans notre approche, tout ne se résumera pas à quelques tweets et des posts de quelques dizaines de mots. Nous prendrons le temps d’expliquer, nous privilégierons les relations directes avec nos adhérents et les supports qui permettent d’approfondir les sujets.
Enfin, il faut changer d’ère également dans la façon dont nous pouvons dialoguer avec les pouvoirs publics et la société plus globalement. Taper du poing sur la table n’a jamais effrayé personne, et ce n’est pas parce que l’on va descendre dans la rue avec des banderoles que cela fera bouger les choses. Il s’agit désormais de trouver des solutions, d’avancer et d’être force de propositions. Proposer des solutions, les concevoir même en dehors des pouvoirs publics, si c’est nécessaire et plus efficace, cela renforcera d’autant plus notre visibilité, notre autonomie, et notre utilité pour nos adhérents.
D’abord, de faire avec eux un constat de ce qui va et de ce qui ne va pas. Comment on peut mettre tout cela en perspective pour trouver des solutions. Aujourd’hui, avec des ministres comme Olivia Grégoire, Christophe Béchu ou avec la Première ministre, Elisabeth Borne, on peut faire avancer des dossiers sur l’impact social. C’est ainsi que, grâce à un travail de fond avec Pôle emploi, nous avons mis en place le CV numérique.
Il y a ensuite des sujets de formation professionnelle. Ici, il faut que les acteurs du paiement de cette formation professionnelle, comme Akto, soient plus à l’écoute et dans le bon sens afin d’améliorer l’attractivité métiers et de pouvoir former dans des conditions plus rapides et plus efficaces. Il y a intérêt à s’entendre sinon nous allons continuer à laisser des gens éloignés de l’emploi alors que nos métiers ne demandent qu’à recruter, à former et à mettre en perspective un projet de carrière.
Nous tenons toujours la même ligne de conduite : un syndicat patronal n’a pas à se positionner sur la politique d’immigration dans son pays. Mais je ne veux pas être le Français qui a un discours hypocrite sur l’immigration. Il suffit d’ouvrir les portes d’une cuisine, de pousser une palissade de chantier, de regarder une plateforme logistique à Rungis, et de s’apercevoir que nous avons un certain nombre d’immigrés en France. Ils représentent 17 %, selon la Dares, dans les métiers de la restauration. Ce sont des personnes qui sont présentes sur le sol français en toute légalité, et à un moment donné on ne leur renouvelle plus le titre de travail ou le permis de séjour. L’entreprise se trouve alors en porte-à-faux, les salariés aussi, alors que ce sont des gens qui sont depuis une dizaine d’années dans nos entreprises. Je dis qu’il faut faire un effort de régularisation des gens qui ne posent pas de problèmes dans notre pays et qui se sont intégrés par l’un des meilleurs moyens, à savoir un projet métier.
Il est vrai qu’il y a en France un certain nombre de personnes qui sont sans emploi et sans projet métier. On peut donc aussi faire l’effort d’accélérer cette formation professionnelle avec un accompagnement que l’on appelle les POEC*.
Quant aux gens qui sont en situation illégale et qui font peser en France un risque sur notre République, j’entends qu’ils ne restent pas sur le sol français. Ne mélangeons pas délinquance, immigration sauvage, et régularisation.
La même chose : la formation professionnelle, parfois plus rationnelle, plus raccourcie, pour permettre aux gens d’arriver plus tôt dans l’entreprise et monter en compétence. Et puis d’avoir un regard sur cette convention collective de 1997 qui me paraît un peu obsolète, et aussi retravailler la planification de nos métiers.
Enfin, il doit y avoir un débat entre les organismes salariés, les organismes patronaux et l’Etat sur le fait que le travail n’émancipe plus. Voilà 40 ans que cela dure. Il y a aujourd’hui beaucoup de salariés qui s’orientent vers les plateformes d’ubérisation pour avoir directement leur salaire brut qui tombe dans leur poche et gérer leur vie comme ils l’entendent.
Pour ma part, je ne veux pas être de ceux qui seront les fossoyeurs du modèle social français. Il va donc falloir s’interroger : 1-Pourquoi le travail n’émancipe plus en France ? 2-Est-ce que l’on continue vers ce libéralisme absolu et l’ubérisation du travail, y compris de nos meublés touristiques ? Cela ne peut pas se faire dans la confrontation, il faut vraiment prendre du recul avant que tout cela pourrisse le fruit. A un moment donné, c’est le modèle social français qui est remis en cause. C’est un débat de société.
Catherine Quérard est quelqu’un que j’aime beaucoup. Elle a le sens de l’à-propos. Elle a une vision, et elle a une vision moderne des choses. Donc, je pense que, sans parler tout de suite de Maison commune, nous allons mener des combats en commun, d'abord pour se rassembler.
Je n’ai pas de souci. Je crois à un syndicalisme moderne. Je crois que nous avons des combats communs. Il y a plus de choses qui nous rassemblent qu’il n’y a de choses qui nous divisent. Catherine Quérard est quelqu’un que j’aime beaucoup. Elle a le sens de l’à-propos. Elle a une vision, et elle a une vision moderne des choses. Donc, je pense que, sans parler tout de suite de Maison commune, nous allons mener des combats en commun, d'abord pour se rassembler. Aujourd’hui, aller à Bercy, discuter avec tel ou tel ministre, ou avec tel ou tel Premier ministre, nous pouvons le faire de façon assez cohérente mais globalement divisée. En revanche, quand nous avons à mener des combats face à des grandes plateformes du numérique, là, il faut être rassemblés : au lieu d’être 35 000, être au moins 80 000 pour peser à la table des négociations de la régulation, et ce, avec le régalien. Si l’on groupe nos forces syndicales, on n’est pas obligé de perdre notre identité. Le GHR a une identité qui lui est propre, nous avons une identité qui nous est propre.
D’abord, nous n’avons pas apprécié que l’on nous donne des leçons sur les prix, alors que l’on nous a assommés avec un coût de l’énergie qui est absolument fou, des prix des matières premières qui ont énormément augmenté. A un moment donné, il faut que nous payions nos charges.
Ensuite, je crois à une politique de prix sages et à une capacité d’hospitalité large, c’est-à-dire que nous fassions tous l’effort de montrer que la France est un pays attractif et qui a le sens de l’hospitalité. Et ce, au-delà des Jeux olympiques et paralympiques.
Nous sommes prêts pour les Jeux, nous faisons les efforts nécessaires pour recruter et former le plus rapidement possible. Je suis confiant et je suis un passionné des Jeux Olympiques. C’est une chance inouïe pour mettre la France sous les feux des projecteurs. Ne boudons pas notre plaisir.
C’est simple. D’abord, j’ai une chaîne de commandement très courte, j’ai un bureau très réduit et une planification très exigeante. Je n’ai rien inventé en tant que chef et chef d’entreprise. La seule chose à laquelle je ne déroge pas, c’est le sport le matin et la cuisine, au passe, tous les soirs. Même si mes jeunes chefs, comme Ricardo Silva chez Onor ou Nina Haradji au Mandarin Oriental, sont bourrés de talents, et eux aussi dans la passion, je suis au moins une ou deux fois par semaine avec eux au laboratoire de recherche et de développement dans lequel nous créons les plats. Ce sont pour moi des moments régénérants.
C’est la passion de la cuisine qui m’anime, parce que la cuisine est une clé pour entrer dans la confiance des autres. C’est quelque chose d’assez inouï. Je n’ai pas d’autre modèle si ce n’est celui du sport. La cuisine, c’est : plaisir, bien-être, santé… et le sport c’est : plaisir, bien-être, santé.
Ensuite, j’ai un management qui est d’une simplicité absolue : je suis dur avec les faits, bienveillants avec les gens. On se rassemble et on va de l’avant. On regarde tout ce qu’il y a à regarder même quand les dossiers ne sont pas forcément agréables.
Je n’ai pas à me plaindre, ce métier m’a tout donné : le plaisir, la visibilité, l’engagement… Et avec ce métier, j’ai pu faire des choses que je n’aurais probablement pas pu faire si j’avais été dans d’autres secteurs d’activité, car on garde cette magie et cette poésie de la cuisine.
*POEC : Préparation opérationnelle à l’emploi collective