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[Top 100] Christophe Alaux (E.CF) : « Nous sommes bien armés pour passer cette crise »

Jean Charles Schamberger
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Christophe Alaux

Entretien avec Christophe Alaux, président du groupe E.CF.

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Qu’est-ce qui vous a conduit à la présidence du groupe E.CF en septembre dernier ? Quel a été votre parcours ?

J’ai retrouvé dans le groupe E.CF les métiers et les géographies que j’aime : le monde de l’hôtellerie, celui de la restauration et de la distribution, l’Europe, le Moyen-Orient et l’Asie-Pacifique. Avant de prendre la présidence du groupe E.CF, j’ai dirigé pendant trois ans le leader du camping en Europe, Vacanceselect. Avant, j’ai exercé pendant neuf ans différentes fonctions de directions générales en France et en Amérique du Nord pour le groupe Accor. Et auparavant, j’avais dirigé pour Carrefour les Opérations en Chine ou à Taiwan et le backoffice magasin pour la France (supply chain, informatique, organisation et approvisionnement). Je suis diplômé de Sciences Po Paris et d’un Executive MBA de Harvard. J’ai travaillé en France, en Europe, à New York, Shanghai, Taipei... Finalement, prendre la tête d’un groupe français, européen, qui a des bases fortes à Dubai et un pilier très important en Australie était un challenge fascinant.

C’est une ETI qui repose sur les deux jambes que je connais le mieux : le tourisme et la distribution. Et je ne regrette pas ! C’est une entreprise avec un potentiel unique, très important. Le travail effectué par le management précédent est exceptionnel, c’est une base solide pour lancer maintenant la prochaine étape de croissance rentable d’un groupe de taille internationale.

J’ai une expertise dans le management, la transformation, le digital et le marketing. Une grande partie de mon parcours a été réalisée dans le BtoC, mais, à l’heure du digital, je ne suis pas sûr que les stratégies go-to-market pour aller chercher un client particulier ou un entrepreneur restaurateur individuel soient si différentes.

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Y a-t-il eu d’autres mouvements au sein du groupe ?

Thierry Drecq s’est retiré des opérations, de la stratégie ou du management du groupe, mais il reste membre du conseil. Il a un rôle de conseil auprès de moi et de Corinne Leduc, la directrice générale du groupe à mes côtés. Il a un rôle de « sparring partner  » lorsque nous voulons faire des acquisitions, par exemple, ou sur des sujets qui touchent à l’histoire du groupe.

J’ai également resserré le comité exécutif. Celui-ci est composé de Corinne Leduc, des deux directeurs régionaux, Raphaël Saxod à Dubai et David Bull à Brisbane ; de Bertrand Ferraton, le directeur administratif et financier, et de Davood Setayesh, le directeur informatique, organisation et transformation du groupe. En vérité, il ne s’agit que de renforcer les grands piliers du groupe au service de nos clients : une centralisation stratégique, une forte décentralisation opérationnelle et une discipline financière sans faille.

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Quel regard portez-vous sur la crise sanitaire actuelle ?

2019-2020 a été un exercice exceptionnel, sans doute le meilleur pour beaucoup d’entre nous et, en tout cas, le meilleur pour E.CF en cent quarante ans d’histoire. Très précisément onze mois et quinze jours exceptionnels… Avant la crise, le secteur était solide et résilient, il y avait un appétit pour ce métier, en croissance régulière et forte depuis plusieurs années. On avait imaginé que l’on pouvait avoir un jour une crise d’offre, mais jamais que l’on pourrait ne plus avoir de clients, plus du tout. Il a donc fallu basculer en quinze jours d’une logique produit à une logique client, plus que jamais ce furent eux la priorité ! Également, la préoccupation de la santé de nos équipes est devenue une habitude, presque une routine. Nous avons alors remis les clients et les équipes au centre du dispositif et je pense que cela va rester. La crise pousse à engager la conversation permanente avec eux.

Comment le groupe E.CF a-t-il vécu cette crise ?

Le groupe s’est arrêté en vingt-quatre heures. Lorsqu’il y a eu les décisions de confinement en France et en Europe, nous avons mis pratiquement tout le monde en chômage partiel. Nous avons gardé une vingtaine de personnes pour répondre aux attentes des clients. Tout s’est très bien passé avec les partenaires sociaux, dans un bon esprit de dialogue et de préservation des intérêts à long terme de l’entreprise. Je salue les pouvoirs publics qui ont également facilité ces décisions, grâce à des dispositifs qui existaient, tels qu’en France ou en Italie, en Suisse et en Belgique, ou bien qui ont été mis en place rapidement comme en Australie et en Angleterre. Dans les pays qui n’ont pas de dispositif, comme le Maroc ou au Moyen-Orient, nous avons réduit l’activité et ajusté les salaires, comme c’était la pratique dans ces pays. Ensuite, nous avons focalisé notre communication et réservé nos produits vers les entreprises prioritaires, c’est-à-dire les produits d’hygiène pour les hôpitaux, les cliniques et les collectivités qui en avaient besoin à ce moment-là.

À partir de mi-mai, nous avons commencé à préparer la reprise et, aujourd’hui*, nous devons être entre 30 et 40 % de notre activité en France. Je pense que nous serons à 50-60 % à la mi-juillet. La reprise est progressive et nous avons toujours du chômage partiel. Il y a moins de 30 personnes à Grigny, essentiellement des logisticiens et des personnes du call center. Le télétravail devrait perdurer jusqu’à fin septembre.

Nous sommes encore quasi à l’arrêt en Suisse et en Angleterre, il y a une très bonne reprise en Italie, à plus de 50 %, grâce à une très belle offre de take-away. L’Australie, quant à elle, ne s’est jamais arrêtée et travaille à 60-70 %.

Comment accompagnez-vous les restaurateurs ?

Le premier accompagnement c’est le fait que les fournisseurs et distributeurs français puissent survivre. Nous avons donc commencé par structurer un peu notre métier en regroupant, de manière informelle pour l’instant, nos fournisseurs non alimentaires de la RHD : les couteliers, les fabricants de papier, les hygiénistes, etc. Cette initiative a été menée conjointement avec deux autres leaders du secteur : Enodis et Matfer-Bourgeat... Au total, près de 200 entreprises qui pèsent plus de 2 Md€ de chiffre d’affaires se sont retrouvées pour défendre le secteur. Nous nous sommes rapprochés de la Confédération du commerce de gros, non pas pour demander des aides mais afin de ne pas être absents des systèmes qui vont être mis en place pour l’industrie, pour y être associés, visibles, écoutés et peut-être, je l’espère, entendus.

Ensuite, nous avons anticipé les protocoles sur lesquels travaillaient nos différents clients pour préparer leur reprise, afin d’identifier, en collaboration avec eux, leurs besoins et avoir des volumes suffisants de produits. Nous avons ainsi pu sortir des catalogues avec les 50 produits qu’il faut avoir pour rouvrir un restaurant, le nettoyer, protéger les clients et le personnel de service, etc. Aujourd’hui, nous n’avons aucun souci pour servir des restaurants, des campings, des hôtels, des bars, en produits nécessaires à la réouverture.

Enfin, nous avons demandé à tous nos clients s’ils confirmaient ou non leurs commandes passées avant la crise, 70 % ont souhaité le faire. Également s’ils avaient besoin de facilités de paiement et qu’ils viennent nous voir le cas échéant. Le rôle d’un distributeur n’est pas d’être un banquier, mais nous avons des relations de partenariats avec certains groupes de restauration et des indépendants depuis des années. Il est hors de question de les laisser tomber : 5 % d’entre eux ont déjà bénéficié de notre programme de soutien.

Quelles perspectives dressez-vous pour le second semestre ?

Mécaniquement, il y aura un impact. Sera-t-il de 10 %, 20 %, 30 % ou plus ? Je ne sais pas mais je n’imagine pas retrouver d’ici à la fin de l’année le niveau d’activité que nous avions avant la crise. Une partie de l’activité de tous les groupes est liée aux projets et il n’y a pas un restaurateur ou un hôtelier qui va prendre des décisions d’investissement lourd tant qu’il n’aura pas une visibilité sur son activité. Il faut donc être très prudent. Mais il y a aussi des opportunités car il y a de nouveaux produits qui sont demandés et de nouveaux clients qui nous approchent. Nous savons livrer tous nos clients en moins de 48 heures sur toute l’Europe. Nous avons un savoir-faire, un actionnaire solide, une équipe de management de qualité, de grands professionnels dans toutes nos fonctions, des résultats passés solides qui nous protègent et nous ne sommes pas que franco-français. Nous sommes donc bien armés pour surmonter cette crise. Mais nous devrons aussi nous adapter, surveiller nos coûts de fonctionnement, sans doute les baisser et accélérer les projets de développement et de croissance.

Quelles leçons tirez-vous de cette crise ?

J’en vois trois. La première, c’est que nous avons pu mettre en place en peu de jours tout ce que nous pensions impossible ou compliqué : le télétravail, des procédures de contrôle à distance, etc. On voit que, dans tous nos processus et notre organisation, la flexibilité existe. C’est une chose qu’il faut garder de cette période-là en termes de souplesse et de prise de risques.

La deuxième, c’est le gain de productivité car nous avons réalisé beaucoup d’activité avec peu de monde dans le même lieu, cette crise a été un très bon test de ce que pourrait être notre future stratégie multicanal. La troisième, c’est la création d’opportunités : les marques, ou les groupes, ou les clients qui ont bien résisté sont ceux qui sont diversifiés dans leurs offres produits, dans leurs offres clients ; dans leur géographie. Le foodservice est un métier qui est très fragmenté et qui reste un marché de concentration et d’opportunités. Je crains, malheureusement, que les gros maigrissent un peu et que les faibles meurent peut-être, mais c’est un secteur qui, dans 2 ou 3 ans, ressortira beaucoup plus fort, plus solide et avec une capacité à rebondir plus importante.

Revenons à l’exercice 2019. Quels commentaires en faites-vous ?

Notre chiffre d’affaires est supérieur à 400 M€ dont 250 M€ en France. Nous avons fait sur le second semestre 2019 l’acquisition de deux sociétés en France : Novéo en Ile-de-France et Idéria en région nantaise. Il s’agit de distributeurs nationaux d’équipements pour les fast-foods, les boulangeries, et les chaînes à thème. Ils servent notamment Burger King et Quick, Buffalo Grill. Cela représente quelques dizaines de millions d’euros de chiffre d’affaires avec une belle équipe managériale. En ce qui concerne nos enseignes, La Corpo a été plutôt stable l’an dernier. Elle a été relancée du fait que Rungis était ouvert et que l’activité boucherie a été très dynamique avec la crise du coronavirus. Nous voyons arriver de nouveaux clients qui redécouvrent la marque. Ecotel, de son côté, fonctionne toujours bien avec un point fort qui est le mobilier. L’e-commerce se développe différemment selon les cultures et les pays. Fortement en Australie, avec presque 20 %, plus faiblement en France, avec moins de 10 %.

Quels sont vos projets ?

Nous avons une équipe qui s’occupe de développement et d’acquisitions et qui regarde donc les opportunités pour le groupe en France, en Europe et dans le monde. Nous avons aussi un gros travail d’intégration de toutes les sociétés dont nous avons fait l’acquisition ces 18-24 derniers mois : évolution des systèmes d’information, rationalisation des assortiments, mises en commun des bonnes pratiques, restructuration logistique en Australie avec l’ouverture d’un entrepôt centralisé près de Brisbane. Et puis une réflexion permanente sur la modernisation des offres et la façon dont les enseignes peuvent mieux répondre aux attentes des clients.

*Entretien réalisé le 5 juin.

Propos recueillis par Jean-Charles Schamberger

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Christophe Alaux
Jean Charles Schamberger
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