[Top indépendants 2021] : Réseaux : deux montages capitalistiques pour répondre aux cessions d’entreprises
Dans un réseau d’indépendants, la vente d’un distributeur est un sujet sensible. Avec le risque qu’un prédateur rafle la mise et prive le groupement de l’un de ses territoires. Pour l’éviter, les réseaux s’organisent et prévoient deux types de montages capitalistiques : le portage et le rachat en copropriété.
Comment conserver un distributeur indépendant dans un réseau quand son propriétaire souhaite vendre son affaire ? La question taraude les dirigeants de tous les réseaux de grossistes. Car derrière la succession se profile un enjeu de concurrence. En effet, si l’adhérent cède son entreprise à un tiers extérieur au groupement, cela signifie pour ce dernier la perte sèche d’un territoire. Les réseaux privilégient le rachat du sortant par l’un de leurs adhérents et anticipent les successions autant que possible. « Une ou deux fois par an, nous organisons une réunion avec les actionnaires du réseau afin de partager les projets d’avenir des uns et des autres », explique Philippe Guyot, le directeur général du réseau de spécialistes en fruits et légumes et produits de la mer Vivalya. Désir de vendre son affaire ou d’y faire entrer ses enfants, figurent parmi les sujets abordés à cette occasion.
Si les successions se concluent la plupart du temps en circuit fermé, ce n’est pas toujours le cas. Parfois, l’entreprise à vendre ne trouve pas preneur dans son groupement. Soit qu’elle se situe dans une région trop éloignée des secteurs des autres adhérents ; soit que le vendeur refuse de céder son affaire au candidat déclaré, pourtant adhérent du même réseau, car ils sont concurrents depuis des années, soit, enfin, que le propriétaire reçoive, de l’extérieur, une offre plus intéressante que celle de ses collègues…
Ces différents cas de figure se sont déjà produits. UNL*, le réseau de distributeurs pour la boulangerie-pâtisserie a perdu Prodélices en 2019, un gros adhérents en région Auvergne-Rhône-Alpes, racheté par Délice & Création (groupe Pomona). Même dénouement chez Disgroup, un autre réseau de spécialistes boul’pât. En 2017, il déplore la perte de Pâtiss’Gard cédé à…Délice & Création déjà. L’année précédente, le réseau avait aussi vu partir Distrifood chez Deroche (21e de notre Top 100).
La copropriété pour éviter d’engager le réseau
Pour conserver leurs adhérents, les réseaux d’indépendants développent deux types de montages capitalistiques. A commencer par le rachat en copropriété, le fameux joint-venture des Anglo-Saxons. En 2022, le Réseau Provence-Dauphiné (5e de notre Top 100) et Auvergne Marée (67e) s’associeront pour reprendre un troisième spécialiste marée en région Auvergne-Rhône-Alpes. Depuis plusieurs années, le Groupe Le Saint (1er de notre Top 100) et Fornel Frères (32e), deux adhérents Vivalya, sont les copropriétaires d’Aunis Fruits (ex- Pons Primeurs). Dans l’univers des boissons, on voit même des joint-ventures à trois. Hadès-Soredis (11e), Cozigou (13e) et Schoen Distribution (26e) codirigent ainsi une entreprise de distribution, au moins.
Ce modèle de gouvernance suscite une question : pourquoi choisir l’association quand il est plus compliqué de diriger une entreprise à plusieurs que seul ? « La dimension financière fait que l’on s’y met à plusieurs », répond Antoine Douchin, le directeur commercial du réseau Disgroup. France Ame, le président éponyme du groupe (18e), qui a racheté, il y a près de 20 ans, deux distributeurs - Marco-Danielou et Poitou Primeurs – avec Etienne Gilles, le patron du Groupe Coerys (40e) et adhérent Creno comme lui, confirme : « on décide de s’associer pour racheter une entreprise pour éviter d’avoir à faire appel à une structure financière ». Grâce à la copropriété, deux distributeurs peuvent s’offrir une entreprise sans trop s’endetter et continuer ainsi à financer la croissance de leur groupe. Mais l’impératif financier n’explique pas tout. Un distributeur, ayant la surface financière suffisante peut néanmoins opter pour le joint-venture. Sa motivation est ici géographique. « Parfois, seule une partie du secteur du grossiste à vendre intéresse un distributeur parce qu’elle jouxte le sien. L’autre extrémité peut par contre intéresser un autre distributeur », explique Antoine Douchin.
Le portage a besoin d’une structure financière
Quand la copropriété ne se matérialise pas, il existe un plan B. Il a pour nom le portage. Le réseau Disgroup l’a activé en rachetant, il y a 3 ans, Patisaveurs grâce à sa filiale Disgroup Finance. Le groupement a géré l’entreprise pendant un an, le temps que trois de ses membres s’organisent pour lui racheter l’entreprise. « La préemption et le portage par le réseau pendant un an ont évité la perte d’un adhérent et de son secteur géographique », explique Antoine Douchin. Le réseau Back Europ a déjà, lui aussi, recouru au portage.
Bien qu’utiles dans les cas où le départ d’un adhérent appelle une réaction, les structures financières destinées à assumer des portages ne se retrouvent pas dans tous les réseaux. « Nous avons évoqué un moment l’idée d’en créer une (une structure pour gérer les portages), mais elle n’a finalement pas vu le jour, explique la responsable marketing d’un groupement d’indépendants, avant de poursuivre, car il faut d’abord obtenir l’aval des adhérents ». Certains groupements sont tout simplement opposés au portage. « A partir du moment où une centrale rachète l’un de ses adhérents et nomme un directeur général pour gérer l’entreprise, c’est un échec 9 fois sur 10 », juge ce responsable. Ce commentaire sans ambiguïté appelle un dernier débat. Quel que soit le montage capitalistique retenu – copropriété ou portage – se pose la question de son avenir. Est-il fait pour durer ou juste pour répondre à une situation d’urgence ? Là aussi les avis et les expériences divergent. « Ce sont des montages transitoires », estime ce chef d’entreprise qui a revendu chaque fois à son partenaire, après quelques années, les parts qu’il détenait dans leurs entreprises communes. Le portage effectué par Disgroup chez Patisaveurs n’a duré qu’un an. Sur le sujet des rachat en joint-venture, Philippe Guyot s’appuyant sur les opérations en cours chez Vivalya, estime au contraire que, « ce sont des montages appelés à durer dans le temps ». Il annonce d’ailleurs « au moins une nouvelle opération de ce type en 2022 ». Le débat reste ouvert.
*Le réseau UNL a enregistré en 2021 les adhésions de Gineys, en mars, et d’Artimat (Groupe Montrimat) en novembre, tous deux partis de chez DGF.
Olivier Bitoun
Retrouvez l'intégralité du dernier numéro de Zepros Distributeurs RHD et son Top Indépendants 2021 ici : https://zepros.eu/journaux/rhd/numeros/rhd-13/