« Pour nos clients, l’éthique est aujourd'hui une obligation »
Très engagé en matière d’écoresponsabilité, Josselin Marie, a fait de son restaurant parisien La Table de Colette un modèle d’écoresponsabilité. Ce fervent militant d’une gastronomie respectueuse de la planète se rendra pour la première fois au Sirha Green, à Lyon, les 8 et 9 juin, et y participera à une table ronde intitulée « Art de la table : quand le durable passe à table ».
Cela fait partie l’ADN et de la philosophie du restaurant. Tous les choix qui sont faits en termes de carte ou d’achats vont dans cette direction. Le déclic s’est produit pour moi il y a 6 ou 7 ans après avoir visionné les documentaires Demain de Cyril Dion et Une Vérité qui dérange avec Al Gore. J’ai pris conscience qu’un tiers du dérèglement climatique était dû à la nourriture humaine et qu’en tant que chefs nous avions une pierre à apporter à l’édifice. J’ai commencé à me renseigner jusqu’à prendre conscience que c’était l’apport en protéines animales qui était très impactant pour le poids carbone. Or, la cuisine qui a été codifiée est surtout une cuisine de viande et de poisson, nous avons fait énormément de R&D pour mettre au point une carte tournée autour du légume. Aujourd’hui la viande et le poisson sont vraiment considérés chez nous comme une garniture pas comme l’élément principal. Cela change complètement la création d’un plat.
Cela m’a permis d’être beaucoup plus libre dans mes choix, d’y aller à fond et même de dépasser mes limites. Nous travaillons notamment des espèces invasives comme le silure ou la dorade royale. En tant que prédateur, l’être humain a un rôle à jouer dans l’équilibre de la biodiversité. On travaille aussi beaucoup avec les algues vertes, elles sont clairement issues d’une pollution mais quand elles sont ramassées fraîches on peut tout à fait les manger comme condiment. Cet engagement a également bouleversé l’organisation de la cuisine. Les légumes sont cuits en amont, le service est un moment moins stressant et surtout moins impactant pour la qualité de l’assiette. Cela a aussi changé la répartition des arrivages : je vais acheter 500 € de viande, 2 000 € de poisson, et plus de 7 000 € de légumes. Au niveau des fournisseurs il a fallu nous livrer en colis et pas au kilo. Cela impacte le calcul des prix : un légume nécessite 20 à 30 % de travail de mise en place en plus. Il a fallu revoir tout ce que j’avais appris.
Pour faire simple, le coût personnel est plus important et le coût des matières premières l’est moins. L’un dans l’autre cela se règle comme ça. La rentabilité du restaurant dépend surtout de sa taille. Je n’ai pas acheté un établissement de 40 places assises par hasard, c’est cela qui permet une meilleure rentabilité. Nous écrasons les charges. Mais en soi l’écoresponsabilité est un choix éthique, cela coûte par certains côtés plus cher mais nous avons une adhésion forte des équipes. En management c’est plus facile car les collaborateurs travaillent avec un but sociétal. Les clients reviennent aussi plus régulièrement chez nous parce qu’ils se font plaisir tout en faisant du bien à la planète.
Les jeunes chefs ont pris conscience qu’il fallait faire des choses mais les informations sont parfois tronquées et difficiles à obtenir. Quand je travaille le poisson, par exemple, je sollicite mes contacts à l’Ifremer de Quimper et à Ethic Océan mais ce sont des démarches exigeantes. Les informations sont très difficiles à dénicher. Cela m’arrive de passer mes week-ends à les chercher. A la Table de Colette nous calculons le poids carbone de l’ensemble des menus. Nous savons par exemple que notre menu en 5 temps végétal consomme 700 g de CO2. Sachant qu’un repas moyen français c’est 2 200 à 2 500 g de CO2 et qu’un repas gastronomique c’est entre 5 000 et 15 000 à 20 000 g.
Je suis ravi de pouvoir m’y rendre pour la première fois et d’intervenir sur une table ronde. Cela va me permettre d’aller voir des entreprises qui font des choses pour l’environnement. Le but est d’ aller à la pêche aux bonnes solutions. Il y a encore tellement de choses à faire ! Il est crucial que le milieu de la food prenne conscience de l’impact de la nourriture sur le dérèglement climatique et sur la biodiversité. Selon Carbone 4, une société d’audit du poids carbone, 15 % des émissions de CO2 sont dus au transport mondial, la food c’est deux fois plus. C’est colossal et personne n’en parle, ou pas assez au regard des enjeux. Il n’y a pas grand-chose qui me fait sortir de ma cuisine à part les écoles, les ONG et aller parler de ces sujets. Sur les salons il y a toujours un partage de connaissance qui fait avancer le métier.
Ce qui est encore très bloqué c’est l’argent vert. En termes financier, nous souhaiterions emprunter à une banque éthique mais cela fait trois que je dépose un dossier la NEF et je n’ai pas de réponse. Aujourd’hui pour la majorité de nos clients, l’éthique est une obligation. Si un scandale éclate parce qu’une société n’est pas suffisamment éthique, cela va lui faire perdre énormément de temps et de chiffre d’affaires. Désormais l’opinion considère qu’il est normal d’agir pour la planète.
La Table de Colette est un restaurant gastronomique, tout le monde ne peut pas manger cela tous les jours. Nous nous posons la question d’inventer ce que serait un établissement bistronomique ou une brasserie écoresponsable. C’est encore en réflexion. Il faudrait aussi que les projets respectueux de l’environnement aient plus de facilités à emprunter, que l’État légifère sur la question.