[TOP INDEPENDANTS 2023] Good Life « L’entrepreneuriat en restauration est un marathon »
[N°3 HAUTS-DE-FRANCE] Six établissements et un bar au compteur de l’efficace groupe Good Life lancé à Lille en 2014 par l’équipe du Magazine Club, lieu emblématique de la musique électro en France. Mother, Babe, Britney… autant d’adresses qui ont su capter l’air du temps et une clientèle fidèle. L’équipe qui a démarré avec une « naïveté » assumée, avant de se professionnaliser, a enchaîné les succès. Elle sort cependant tout juste d’une zone de turbulences qui lui a permis d’éprouver sa capacité d’adaptation et de résilience.
Nous avons ouvert Mother, le premier restaurant, en 2014 un peu par accident, car nous n’étions pas du métier, nous connaissions les bars et la nuit, mais pas la restauration. Assez vite, notre « naïveté » dans le métier, notre manque de connaissance des contraintes, nous a poussés à faire des choses un peu différentes, à être créatifs. Ce qui nous a fait décoller c’est la communication notamment sur les réseaux sociaux. Nous avons été le premier restaurant lillois sur Instagram. L’autre facteur qui a joué, c’est de proposer des burgers à 15 € et des frites maison. On nous disait alors que cela ne se vendrait jamais, au contraire cela a marqué notre singularité. Nous nous sommes lancés avec des éléments qui sont depuis devenus des codes universels : le sourcing, la communication, l’ambiance… Là où nous avons le plus peiné, c’est sur la partie opérationnelle, car nous avons découvert un métier. Mais nous avons appris.
C’est là que cela commence à être plus compliqué ! (rires) Nous sommes alors dans une telle bonne dynamique, que nous décidons de ne pas ouvrir un mais deux restaurants dans ce quartier en travaux : Alien et Gros Camion. Nous travaillons sur des positionnements différents. Dans le même temps, nous nous associons à Brique House pour mettre sur pieds 2 établissements et nous ouvrons l’épicerie My Love. En 2021, nous lançons donc 5 établissements. Là c’est trop, trop vite, trop bâclé. Résultat, cela se solde quasi par 5 échecs.
Nous avons tout remis à plat fin 2022 pour proposer une nouvelle version d’Alien, dont le positionnement était trop flou. Nous sommes repartis de zéro. Nous avons rouvert en février dernier sur l’idée d’un restaurant asiatique au sens large avec des plats japonais, indiens, vietnamiens… Mais avec du fait maison, une vraie maîtrise de cette cuisine, globalement très industrielle ailleurs, et un meil- leur sourcing des produits. Nous avons également retravaillé Gros Camion. L’idée de départ était de faire vivre un routier, mais en ville. Cela n’a pas fonctionné. Nous avons fermé un mois et créé Haarlem à la place. Un lieu plus chaleureux, une vraie carte de bistrot. Quant à My Love, qui était une épicerie-caviste, nous en avons fait un bar à vins. Le côté hybride ne fonctionnait pas. Nous avons également mis fin à notre collaboration avec Brique House cet été. Alien et Haarlem reprennent depuis des couleurs, nous avons vraiment travaillé les projets en détail comme à nos débuts. Nous avons stabilisé Britney, Mother, Babe. Les trois font une année honorable. Ce n’est pas encore l’Amérique, mais c’est hyperencourageant.
La construction de notre groupe, notre structure opérationnelle, appelle à créer des lieux qui fassent suffisamment de volume pour payer un board d’exploitation. Nous avons aujourd’hui des postes transverses qui n’existaient pas il y a encore deux ans. Nous avons une directrice des chefs, une dimension RH, que nous traitions nous-mêmes avant, une directrice des opérations... Tout cela a un coût. Mais nous créons avant tout des lieux auxquels nous croyons : MyLove fait 70 m2, mais réalise parfois plus de chiffre qu’Haarlem qui est trois fois plus grand…
Nous avons rencontré des difficultés, mais cela va mieux. Il y a toujours un manque de savoir-faire, identifié depuis cinq ou six ans. Il n’y a plus assez de profils issus d’écoles hôtelières prêts à travailler dans nos types d’établissements plutôt que dans des restaurants gastronomiques ou de très grands groupes. Mais il y a aussi un déficit de savoir-être datant de l’époque Covid : il y a davantage d’arrêts ou de non-présentations. C’est assez tiède, cela manque d’envie.
Au-delà de la rémunération, il y a la notion de reconnaissance. Ce qui ressort, c’est cette sensation d’être anonyme. Mais, logiquement, plus un groupe grossit plus il s’anonymise. C’est inévitable. Derrière la frustration financière, il y a souvent un besoin de remerciement ou d’attention. C’est paradoxal, mais plus ça fonctionne moins notre présence sur place est nécessaire. J’ai récemment fait une formation produit avec le staff d’un de nos restaurants et, depuis, je constate un changement de lien et d’ambiance. C’est la solution, mais c’est en même temps la limite, je ne peux pas passer mes journées à plaisanter avec mes équipes ! Les réseaux sociaux sont avant tout là pour vendre du rêve aux clients. Cela vend aussi du rêve aux collaborateurs qui, parfois, s’attendent à vivre l’expérience client. Il y a forcément un décalage entre la prise de parole qui est de la pub et la réalité opérationnelle. Nous sommes là pour séduire des clients pas des serveurs. Instagram n’est pas là pour du recrutement de staff. Inconsciemment, il y a une attente et les gens sont déçus.
Il y a un phénomène d’ultradigitalisation de l’expérience client. À la fin, le serveur a seulement un rôle de porte-plateau qui ne conseille pas et n’encaisse pas. J’ai un temps été séduit par cette stratégie, mais nous avons tout enlevé depuis. C’est important de valoriser le poste de serveur. Désormais le seul outil digital auquel le client a accès chez nous, c’est la réservation en ligne. Après, en interne, nous utilisons pas mal de solutions digitales : Skello pour les plannings, PayFit pour les fiches de paie, Teamleader pour le suivi d’édition des devis pour les professionnels, Zenchef pour les réservations, Partoo pour le référencement et la mise à jour des horaires... Nous avons évidemment une présence sur les réseaux sociaux et le web. Même si, là aussi, nous revenons à une prise de parole un peu plus traditionnelle, nous travaillons davantage avec la presse et pas uniquement l’influence. Nous préférons des articles où nous avons le temps de parler, d’aller dans le fond des choses. Nous effectuons également un peu d’affichage. Nous avons un directeur artistique en interne qui s’occupe de toute la partie graphique, on a envie de revoir de vrais supports visuels.
« Nous sommes 100 % indépendants. L’air de rien, la gestion de la priorité et la gestion de l’argent ne sont pas du tout les mêmes. Pour nous, même le recrutement d’un alternant est une prise de risque. »
Nous réfléchissons à la mutualisation de la production, mais notre limite c’est l’offre en elle-même : nous avons des produits très différents. En termes de localisation, la partie livraison et logistique ne serait pas simple. Sur la partie achats, nous mutualisons un maximum de choses chez nos plus gros fournisseurs. Nous travaillons, par exemple, pour nos viandes extraordinaires, avec la maison Lesage Prestige qui a aussi un fond de rayon avec des produits plus standards comme du filet mignon, du bacon ou du filet de poulet. Nous travaillons également avec les Jardins du Moulin pour les fruits et légumes ou Marcova pour la partie crémerie, frais et hygiène. Marcova n’a pas le catalogue le plus sexy, c’est pratico-pratique, mais ce qui est très sexy, en revanche, c’est que l’on peut commander jusqu’à 4 h du matin et être livrés le lendemain matin. Et ça, pour nos chefs, c’est précieux !
C’est le gros sujet du moment ! Nous sommes actuellement en consultation de distribution sur la partie boissons pour trouver un distributeur capable d’agréger la partie bière, basiques et softs. En fonction des copies rendues, nous acterons, ou pas, pour changer notre système de distribution. Et ce, afin de massifier et de simplifier les commandes. Aujourd’hui, sur la distribution de boissons, nous avons un partenaire qui fait exclusivement de la bière qui s’appelle Hop Culture, car il a une belle profondeur de gamme, France Boissons pour les basiques et Azade qui est un distributeur de produits bio pour la partie soft. Nous ne travaillons pas avec les gros industriels du soft comme Coca-Cola ou Pepsi, nous avons donc besoin de sourcer des références un peu différentes. Pour ce qui est du vin, il y a deux ou trois agents qui représentent des maisons avec chacune des conditions d’achats différentes. Quand une recrue arrive, il lui faut deux semaines pour comprendre où passer les commandes. Certes, nous utilisons MarketMan, un logiciel de gestion des stocks, que nous allons probablement remplacer par Inpulse, mais c’est énormément de travail.
La priorité a été de ne pas toucher à la qualité, nous n’avons donc pas changé de fournisseurs, mais plutôt retravaillé la quantité. Pas pour avoir des assiettes qui coûtent moins cher, mais pour faire plus de ventes. Le but était de revendre des entrées et des desserts. Au Babe, très clairement vous pouviez vous contenter d’une entrée au vu de la générosité des portions. Nous avons aussi augmenté les prix pour certains segments et retravaillé le gaspillage. Nous avons mis en place des systèmes de fiches de pertes : en fin de service, les équipes doivent nous dire ce qu’elles ont jeté. Nous avons objectivé la mise en place des primes par le respect du ratio food cost. Cela change beaucoup de choses ! Cela a permis d’inclure les équipes dans la phase de contrôle, qu’ils s’autocorrigent. Je suis ultrafavorable à la transparence des chiffres comme outil de responsabilisation et de motivation.
Nous sommes partis la fleur au fusil à un moment en nous disant que tout marchait bien et cela tourne vite. Nous nous sommes fait peur. Il a fallu apprendre à mettre des établissements en priorité par rapport à d’autres, pour le bien du groupe. Nous avons renforcé les équipes. Mais nous n’avons jamais eu un euro d’un investisseur extérieur, nous sommes 100 % indépendants. L’air de rien, la gestion de la priorité et la gestion de l’argent ne sont pas du tout les mêmes. Pour nous, le recrutement d’un alternant est une prise de risque. L’entrepreneuriat en restauration est un marathon et pas un sprint. Nous sommes revenus de tout cela avec la volonté d’avancer avec humilité. Nous sommes de bons créatifs, c’est ce qui nourrit depuis le début, notre limite est que nous ne sommes pas passionnés par la gestion. Nous savons le faire, mais cela ne nous fait pas vibrer. Il y a des modèles de restauration très performants où tout repose sur la gestion. Mais ce n’est pas du tout notre talent. Sur notre segment, plus c’est sincère plus cela fonctionne.