Faut-il adapter la politique salariale en fonction du lieu de résidence ?
Aux Etats-Unis, c'est sans état d'âme que le patron de Facebook a décidé que les salaires seraient ajustés en fonction du lieu de résidence de chacun. Mark Zuckerberg a informé l’an dernier ses salariés que ceux qui décideraient de déménager vers des endroits moins chers que la Silicon Valley, pour espérer augmenter leur pouvoir d’achat, devraient automatiquement accepter une baisse de leur salaire. Celle-ci serait alors contractuellement indexée au coût de leur nouveau lieu de vie dès le 1er janvier 2021. Est-ce que d'autres vont suivre ?
Ce serait en effet un changement complet de modèle. Pour attirer les talents et leur permettre de se loger à proximité de leur lieu de travail, Facebook et les autres géants du numérique avaient jusque là fait le choix de proposer les rémunérations parmi les plus élevées du monde. Un salaire mirobolant complété par de nombreux avantages : navettes pour se rendre sur site, déjeuners gratuits, salles de sport et de jeux à disposition, etc.
La persistance de la crise et donc la généralisation du télétravail pourraient alors avoir de sérieuses conséquences.
Vers un risque de salaire tiré vers le bas ?
Cette nouvelle donne, impulsée par Facebook, pourrait en effet ouvrir le champs du recrutement : pourquoi ne pas chercher des compétences à l'étranger, en Inde ou en Chine, pays où le coût du travail est relativement moins élevé qu’en Europe ? A l’image de ce qui peut déjà se pratiquer dans le cadre de la sous-traitance. Le terrain de chasse des recruteurs n'aurait plus de limites géographiques en quelque sorte. Même si on peut supposer quand même que les postes les plus stratégiques, ou encore ceux de cadres dirigeants seraient relativement épargnés par ce type de pratique. A ces postes clé, il apparait évident qu’il faut partager un héritage culturel commun avec ses clients pour concevoir des projets qui les touchent.
Aussi, le facteur humain a une importance cruciale dans la performance d’une entreprise. Les interactions humaines contribuent à lever certains blocages et permettent de travailler ensemble plus efficacement. Ne serait-ce que pour des raisons pratiques : si les collaborateurs sont disséminés dans différents pays, avec différents fuseaux horaires ce qui induit des décalages horaires, ils vont avoir du mal à se parler. Impossible aussi dans ces conditions d’obtenir des réponses rapides en cas d’urgence. Or la réactivité est plus que jamais importante aujourd’hui, on le voit, avec la crise sanitaire que nous vivons actuellement. Enfin, se pose une question d’éthique. Car cette nouvelle manière de procéder induit que les connaissances, les compétences et les capacités de chacun n’auraient plus la même valeur en fonction de l’endroit où il se trouve.
Pour le moment, en ce qui concerne le recrutement, le législateur français n’a pas prévu la possibilité d’adapter la politique salariale en fonction du lieu de résidence. Ce qui empêche l’initiative de baisser les rémunérations sur ce critère. Un autre obstacle de taille s’oppose aussi à cette manière de procéder : le fait que la politique salariale soit l’un des trois premiers critères de motivation et d'implication des collaborateurs. Nous savons qu’il faut mettre à disposition des salariés des moyens pour aller chercher de la performance. L’espérance de gains élevés va les pousser à s’investir davantage dans leurs missions. Or, en recrutant avec une politique salariale reposant non plus sur des critères de compétences mais sur des critères de résidence, peut-on motiver les collaborateurs et une équipe de manière durable ?
On peut aussi considérer à l’inverse que l’ouverture de la résidence par le télétravail va pour certains postes offrir une qualité de compétences difficile à attirer par ailleurs.
Le sujet est en pleine réflexion à l’heure ou les accords de télétravail vont être étudiés et modifieront de façon durable la relation au lieu physique de l’entreprise.
* baromètre annuel publié par Malakoff Humanis, 2021