Attractivité : la danse du ventre des resto
Conditions de travail difficiles, horaires décalés, travail en soirée, les week-ends et jours fériés pour des salaires qui stagnent depuis des années : la restauration ne fait plus rêver et la crise sanitaire — qui a permis aux professionnels de goûter au plaisir d’être en famille — a aggravé ce désamour.
Le torchon brûle. Selon la DARES (Direction de l’Animation et de la Recherche, des Études et des Statistiques), le secteur CHR a perdu 237 000 salariés entre février 2020 et février 2021. Une désertion qui pourrait mettre en péril la pérennité des établissements. Ravir les papilles des clients ne suffit plus, les restaurants doivent donc désormais séduire leurs (futurs) salariés pour les recruter et les garder.
Il semble que les jeunes ne veulent plus sacrifier leur vie sur l’autel du travail. Ce qui n’en fait pas des feignants pour autant. « Il faut arrêter de dire que les gens n’ont pas envie de bosser. Ils veulent désormais s’investir dans des projets qui ont du sens » assure Jérôme Guilbert, Président Directeur général de GB Investissements, à la tête de plusieurs restaurants à Nantes. Le groupe emploie 320 personnes dont 200 rien que pour la restauration. L’ouverture de Goguette le 2 août puis de trois autres établissements début septembre a nécessité l’embauche de 90 personnes en un mois et demi et ce pendant une période plus propice au farniente. Une mission accomplie sans difficultés, une exception qui n’est pas sans raisons d’après le patron.
Créer des lieux de vie
Pour créer du sens, son entreprise mise sur « la restauration expériencielle » où manger n’est plus la seule raison de se déplacer. Le restaurant est pensé comme une marque qui doit raconter une histoire et offrir du (bon) temps. Fini les deux services, une table ne peut être réservée qu’une seule fois. Le client est même incité à rester puisque des offres sont proposées tout au long de la journée afin de répondre à différents moments de consommation et à des envies qui évoluent. Goguette, créée dans une ancienne maison d’arrêt, est par exemple à la fois un bar à fruits de mer, une brasserie et une guinguette. « Les clients sont heureux d’être là et cela se ressent dans leur rapport avec le personnel, plus détendu. C’est un vrai argument de recrutement pour nous » affirme M Guilbert. En salle comme en cuisine, les employés évoluent dans un cadre de vie de qualité où tout est conçu pour diminuer la pénibilité (outils ergonomiques, ascenseurs partout, etc.). L’expérience client rejoint celle du collaborateur. Tout le monde est gagnant, y compris le restaurateur qui voit le ticket moyen augmenter.
Les salaires, le nerf de la guerre
Reste que « l'on n’attrape pas les mouches avec du vinaigre » comme l’a rappelé le secrétaire d'État chargé du Tourisme, Jean-Baptiste Lemoyne. Revaloriser les salaires est une nécessité et une obligation morale pour certains. Louis Privat, fondateur des Grands Buffets à Narbonne qui emploient plus de deux cents personnes, a ainsi fait son mea culpa, l’expression est de lui, pour avoir participé à une forme de « maltraitance économique ». En janvier 2022, il promet une augmentation moyenne de 30 % du pouvoir d’achat de ses salariés grâce à un contrat d’intéressement. Cette annonce a un effet immédiat sur les candidatures qui affluent et permet le recrutement de 25 personnes en six mois. « Les collaborateurs sont plus motivés et regardent l’avenir avec sérénité » se réjouit le dirigeant. Le mois dernier, pour que ce pouvoir d’achat ne soit pas grignoté par la hausse spectaculaire des prix, des produits alimentaires et de l’énergie notamment, il décide que les salaires seront désormais indexés sur l’inflation entre (+5 à 6 %) et réajustés tous les six mois. La rémunération d’embauche des personnels non qualifiés soumis aux horaires dits « en coupé » est par exemple passée à 2 100€ net mensuel pour 40 heures de travail hebdomadaire.
Pour financer ces augmentations, des salaires comme des matières premières, l’établissement hors norme — le premier de France par son chiffre d’affaires (plus de 20 millions d’euros en 2022), il offre un repas à discrétion dont le plus grand plateau de fromages au monde selon le Guinness World Records — décide de solliciter ses clients. En janvier comme en octobre, le prix du menu augmente de cinq euros, passant de 42,90€ à 52,90€ en huit mois. À chaque fois, un mail est envoyé à tous les très nombreux clients inscrits sur la liste des réservations pour leur expliquer la démarche et leur proposer d’annuler sans frais. À chaque fois, « aucun phénomène d’annulation n’est constaté » se félicite M Privat pour qui ce choix relève du « principe du commerce équitable ».
Ce modèle est-il duplicable ailleurs ? « Notre démarche est précurtrice mais les autres vont suivre car ils y seront obligés. Il y a une urgence à rendre la filière attractive mais les restaurateurs n’ont pas les marges suffisantes pour absorber seuls la nécessaire hausse des salaires et des coûts » affirme l’homme d’affaires. Une vision que ne partage pas tout à fait Jérôme Guilbert qui dit rester « très vigilant sur les prix ». Cette prudence ne l’a pas empêché d’augmenter les salaires « de manière conséquente », entre 15 et 20 % suivants les postes de travail. Un pourcentage sur le chiffre d’affaires est également reversé à tous les salariés. Autre levier financier mis en place : l’agence d’intérim 100 % digitale Weekks permet aux employés de trouver facilement des heures supplémentaires à réaliser ailleurs une fois qu’ils ont rempli leur contrat. « Les jeunes d’aujourd’hui veulent disposer de leur argent tout de suite et nous réfléchissons d’ailleurs à payer les salaires de manière hebdomadaire » complète M Guilbert.
Plus de flexibilité
Disposer de leur argent... et de leur temps. L’aménagement du temps de travail est présenté comme un autre moyen d’attirer les professionnels. Aux Grands Buffets, les métiers de serveurs, cuisiniers et commis assistants qui travaillent sur des horaires en coupé ont droit à trois jours de repos hebdomadaires dont deux consécutifs. À Nantes, GB Investissements garantit deux jours consécutifs off et essaye que la reprise ait lieu en fin de matinée le troisième. Week-ends et soirées sont également distribués à tous. Surtout, chaque salarié est consulté et les plannings sont adaptés aux contraintes et préférences de chacun. « Une personne en garde alternée peut apprécier travailler en continu la journée la semaine où elle a ses enfants et les soirées et les week-ends lorsqu’elle est seule » explique M Guilbert.
Former les personnels
Enfin, pour fidéliser ses salariés, il faut les former. Une conférence aura lieu mardi 8 novembre sur ce sujet sur le salon EquipHotel (pavillon 4). Les équipes veulent de la reconnaissance et leur permettre d’évoluer et de monter en compétences est une des clefs. GB Investissements travaille avec un organisme de formation, Les Grands Buffets en partenariat avec Pôle emploi qui finance la formation de personnes sans qualification. Tous les métiers sont concernés, y compris derrière le bar. L’Association des Barmen de France (ABF) l’a bien compris. L’association, qui organise d’ailleurs sur le salon (pavillon 4) l’ABF Shaker Challenge, un concours qui s’adresse à tous les barmaid et barmen qui travaillent dans les lieux servant de la boisson, a lancé un plan national de formation en partenariat avec l’Institut Paul Bocuse. Ce programme d’ateliers avec démonstrations qui dure une semaine, gratuit pour les adhérents, très peu coûteux pour les autres (50€), remporte un franc succès et sera certifié Qualiopi l’année prochaine.
L’attractivité est un enjeu vital pour la restauration. Pour recruter et souder les rangs de leurs équipes, des entreprises font la preuve que les solutions existent.
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