[Top 100] Guillaume de Marcellus (C10) : « La digitalisation ne doit pas faire oublier le contact »

Jean Charles Schamberger
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Guillaume de Marcellus. © Hélène Mauger

Entretien avec Guillaume de Marcellus, directeur général de C10*.

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Après une bonne année 2019, l’exercice 2020 est totalement inédit. Comment l’appréhendez-vous ?

Nous avons enregistré un mois de mars à - 52 % et un mois d’avril à - 94 % en valeur, et respectivement à - 49 % et - 89 % en volume. Ce qui montre que nous avons livré des produits de vente à emporter (PET, canettes, etc.) destinés à nos clients qui fonctionnaient pendant le confinement. Nous avons continué de livrer quelques collectivités régionales, hôpitaux, Ehpad et CHU, mais c’est une toute petite partie de notre activité. Les cavistes qui ont rouvert dans le courant du mois d’avril ont plutôt bien fonctionné. Après les mois de janvier et février qui étaient corrects, le cumul civil à fin avril se situe à - 39 % et le cumul annuel mobile, bien que pas très significatif, à - 9  %. Je table sur un mois de mai entre - 90 % et - 95 %.

Avec l’autorisation de réouverture, à compter de ce jour*, hors Ile-de-France, c’est 90 % de notre activité qui va redémarrer, mais sous contrainte des règles sanitaires : pas de consommation au comptoir, espacement des tables, etc. Notre hypothèse d’activité se situe donc entre 40 % et 50 %. À Paris, nous ferons au maximum 20 % de notre business car tous les établissements n’ont pas une terrasse et il n’est pas dit que les clients auront envie de s’attabler sur des places de parking. Compte tenu de tout cela, juin devrait se situer entre 40 et 45 %... ce qui est mieux par rapport à nos hypothèses de départ.

La remontée va ensuite se faire, mais très lentement. Il apparaît que l’activité touristique en France va chuter sévèrement cette année, une partie importante des touristes étrangers ne sera pas là et les Français qui resteront ne compenseront peut être pas l’ensemble de cette activité, tous les saisonniers risquent de ne pas rouvrir. Nous tablons sur un risque de non-réouverture de 10 à 15 % des points de vente. Je pense que nous allons vivre cette situation pendant au moins tout le 1er semestre 2021, et ce, s’il n’y a pas de nouveaux épisodes, si le social se porte bien, etc. Alors peut-être commencerons-nous à retrouver un schéma normal, c’est-à-dire du niveau de 2019, durant le second semestre 2021. Personnellement, je table plutôt sur le dernier trimestre 2021.

Est-ce viable pour les adhérents du réseau ?

C’est un sujet important que nous avons évoqué avec eux. Nous avons fait tout ce qu’il fallait, d’une part pour qu’ils puissent reporter leurs échéances de remboursement d’emprunt avec leurs organismes bancaires, d’autre part pour qu’ils puissent demander et obtenir un PGE. Dans la très grande majorité des cas, c’est fait. Nous sommes sereins par rapport à cela. J’en profite pour dire qu’il est important que notre filière de distributeurs grossistes en boissons soit prise en compte par les pouvoirs publics et puisse bénéficier du même soutien que la filière CHR : reports des charges, prolongement d’activité partielle, etc.

En revanche, les adhérents n’ont pas recruté les saisonniers et intérimaires qui auraient pu l’être à cette période de l’année. C’est forcément un coup dur, mais la souplesse de nos structures d’entreprises va nous permettre de redémarrer plus rapidement car nous nous appuyons sur nos basiques, c’est-à-dire le trinôme service-proximité-agilité. Tout ce qui ne sert pas le business de façon immédiate ou à venir n’est pas une priorité et passe au second plan.

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Cela pousse à reprioriser les projets…

Oui, tout à fait. Cela permet de reprioriser ou de redimensionner un certain nombre de choses. A-t-on besoin de lancer deux nouvelles marques maintenant ? Non, peut-être pas. A-t-on besoin de communiquer sur tel produit ? Non, peut-être pas. En revanche, a-t-on besoin d’accélérer la digitalisation ? Oui, bien sûr ! A-t-on besoin de continuer le travail de formation de ses collaborateurs ? Oui ! La promo a-t-elle de l’importance ? Oui, en période de redémarrage elle en a. Contrairement à ce que pensent certains, il ne s’agit pas que de livrer. Il faut livrer de bons produits, qui sont demandés, au bon endroit, de la bonne façon, etc.

Quelles sont les initiatives du réseau C10 pour accompagner cette réouverture ?

Nous sommes tous confrontés à cette difficulté : permettre d’anticiper le risque et de composer avec l’incertitude. On ne sait pas de quoi sera fait demain, mais on commence à voir l’évolution du comportement du consommateur : le locavorisme va se poursuivre, les cartes trop denses en références vont céder la place à des cartes courtes de 3 entrées, 3 plats, 3 desserts…

Pour préparer cette reprise, nous avons travaillé sur les kits sanitaires – masques, gel, visière, Plexi, etc. – pour les entrepôts et pour les points de vente. Nous avons beaucoup développé la formation au travers de l’Institut C10 afin d’accompagner les commerciaux dans leurs réponses aux demandes potentielles des points de vente.

Ensuite, nous avons retravaillé l’ensemble de notre plan promotionnel en revoyant tous nos catalogues C10 Avantages et en décidant d’apporter une politique promotionnelle, y compris sur le mois d’août. Nous continuons également à développer les kits d’animation point de vente –  café à emporter, vin, apéro-cocktail, Happy Hour, etc. – car nous pensons qu’en période de reprise cela peut toujours être intéressant de recourir à ce type de produits.

Quelles leçons retenez-vous de cette crise ?

La première nous la connaissions tous : c’est l’attachement des Français à leurs points de vente, bistrots, cafés, restaurants. Deux opérations en sont particulièrement représentatives : d’une part, 1 000 cafés –  que nous allons continuer à accompagner et à soutenir en tant que fournisseur stratégique et, d’autre part, J’aime mon bistrot, dont les résultats ne laissent aucun doute : au 24 mai, 7 600 établissements, 3 000 qui ont activé des comptes, 25  778  précommandes solidaires pour une moyenne de 40 € et un total de 1,557 M€. La seconde, c’est que la digitalisation – pour permettre de mettre en place la vente à emporter, par exemple – ne doit pas faire oublier le contact. Elle ne doit pas venir à l’encontre de la convivialité.

Quels autres dossiers vous occupent ?

Deux principalement. D’une part, la digitalisation avec le portail client. Nous aurons, fin 2020-début 2021, entre 40 et 45 adhérents qui seront intégrés avec la V3, tandis que nous préparons déjà la V4. D’autre part, la préparation d’un PIM (Product Information Manager), c’est-à-dire un référentiel article unique pour tous les adhérents C10, lequel servira à l’ensemble des outils de C10 : C10 Avantages, tous les catalogues, les cartes des vins en ligne, soit 21 000 références.

Nous préparons, par ailleurs, notre convention commerciale, les 26 et 27 novembre à Nice. Celle-ci est maintenue, car il est important de porter les valeurs C10, de montrer que nous sommes un réseau solidaire avec une ambition commune, malgré les difficultés, et aussi de témoigner nos remerciements à tous les industriels, vignerons et partenaires qui nous ont soutenus.

Enfin, nous avons démarré une réflexion logistique à horizon trois ans : quels gains de productivité peut-on encore avoir ? Quelle réduction de charges pour les adhérents ? Faudra-t-il gérer le consigné en commun sur la plateforme  ? Faut-il des stocks avancés de fûts ? Doit-on gérer la reprise du verre autrement ? Il nous reste deux ans et demi pour analyser, traiter, décider, mettre en place, et faire fonctionner le schéma logistique que nous choisirons pour cet horizon. Lequel va venir assez vite, finalement.

*Entretien réalisé le 2 juin.

Propos recueillis par Jean-Charles Schamberger

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Guillaume de Marcellus. © Hélène Mauger
Jean Charles Schamberger
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