[Top 100] Philippe Guyot : « Nos adhérents ont su être agiles »
Entretien avec Philippe Guyot, directeur général de Vivalya. Réalisé le 25 juin.
Quels enseignements tirez-vous de cette crise ?
Nous avons appris depuis le premier confinement à vivre avec l’imprévu. Il y a là une part d’improvisation maîtrisée, parce que vivre avec l’imprévu signifie lucidité et flexibilité, et surtout vivre en pensant que cela peut se reproduire à tout moment et nous l’avons vu.
Il y a eu aussi beaucoup de solidarité et de planification collective entre les coopérateurs. Bien sûr, tout cela a été facilité par les différents outils digitaux que nous avons mis en place, mais cela montre bien que lorsque les gens sont dans la difficulté, ils se rassemblent.
Quel bilan dressez-vous pour le réseau Vivalya ?
Nos adhérents ont su être agiles, d’abord dans le maintien et la consolidation de nos relations avec nos collaborateurs, nos clients, nos fournisseurs, nos producteurs malgré une baisse indéniable du volume de nos activités. Vivalya a réalisé 1,170 Md€ de chiffre d’affaires en 2020, soit un recul de 10 %. L’activité GMS a compensé la baisse en RHD. Nous avions quelques dépôts qui étaient à - 60 %, - 65 %.
Nous avons dû adapter nos structures à des formats de crise, parfois désagrégés, avec nos personnels à distance ou soumis à un régime d’activité partielle. Nous avons fait front à la fois dans nos relations humaines et sociales, et en veillant financièrement à nos collaborateurs.
Cette période a été marquée par la volonté d’un retour à une consommation plus locale, avec plus de proximité. Quelque peu forcée par les limitations de déplacements, certes, mais aussi rythmée par un véritable élan de solidarité, ressenti à la fois par les consommateurs et par les professionnels. Nos adhérents, grossistes de proximité, sont restés solidaires avec leurs producteurs partenaires, en garantissant de nouveaux débouchés ou en organisant des opérations spécifiques d’écoulement des stocks, comme l’opération Huîtres Solidaires organisée par la Sapam l’hiver dernier.
Cette crise aura permis de mettre en lumière les capacités de production de notre terroir et mis un coup de projecteur sur le travail des professionnels de l’ombre. Les producteurs ont dû mettre les produits à disposition, les grossistes ont dû adapter les niveaux d’approvisionnements, le tout dans un contexte de crise et de changements législatifs forts. Nous pouvons mener à bien ces manœuvres logistiques grâce à notre implantation géographique multiterritoriale, un modèle unique que nous défendons, qui nous donne un accès direct à nos terroirs et nous permet à la fois d’entretenir nos relations avec nos producteurs et de garantir une qualité de service à nos clients.
Notre adhérent Le Réseau Le Saint, par exemple, soutient sans faille la production locale et le développement du tissu économique et social régional, à travers une charte de 5 piliers : soutenir les producteurs locaux, identifier les meilleurs produits, assurer une transparence totale, garantir une fraîcheur optimale et limiter les distances de transports. Par la démarche « Jouons Local », c’est tout un réseau qui œuvre pour des pratiques durables et respectueuses des hommes et de l’environnement.
Il a fallu diversifier nos activités pour résister, en respectant nos partenaires commerciaux et en mettant tout en œuvre pour répondre aux exigences : plus de local, plus de « made in France », plus de produits labélisés… La situation actuelle pousse les rouages des exigences Egalim qui agissent directement sur le marché, les appels d’offres, les demandes et les prises de décisions.
Notre adhérent Ribégroupe, par exemple, prépare ardemment la mise en place de la loi Egalim par l’accompagnement des producteurs vers des démarches plus vertueuses et en proposant des solutions à leurs clients pour répondre aux exigences de la loi. Comment ? Par la création d’outils d’aide à la décision comme des listes de produits éligibles, des statistiques de traçabilité et de l’aide à la conception de menus.
Comment se déroule ce début de reprise ?
Nous sommes presque sur des degrés de saturation. Dans certains cas, nous retrouvons des volumes d’affaires équivalents à ceux de 2019. Bien sûr, tout cela dépend des segments, des types de restauration, des régions.
Nous sommes actuellement dans une phase d’adaptation, nous devons vivre et travailler autrement, cela n’exclut pas les moments de partage et de convivialité, mais il faut être plus prudents, plus attentifs aux autres. Et aussi accompagner nos clients « coûte que coûte ». Les adhérents Vivalya ont été loyaux, ils ont été au rendez-vous. Nous avons déployé des dispositifs logistiques adaptés et ce, quels que soient les désagréments financiers. Depuis le premier confinement, nous travaillons en permanence sous forme de questionnement, peut-être ne sommes-nous pas les plus ostentatoires, mais nous avons la volonté d’avancer, de progresser ensemble.
Nous évoluons aujourd’hui dans un secteur en mutation, la croissance de la consommation en livraison ou à emporter, la multitude d’e-plateformes et de nouveaux acteurs, la place de la restauration collective en entreprise… motivent une stratégie de remise en question de nos acquis et nous poussent à monter en compétences par la proposition de nouveaux services, de nouveaux produits et à nous questionner sur notre valeur ajoutée. En 2021, nous situons entre - 60 % et - 70 % la baisse d’activité au premier semestre en restauration d’entreprise et nos clients prévoient au moins - 50 % au 1er septembre.
Au quotidien, le pacte de confiance avec nos clients se renforce et grandit, preuve en est notre taux de renouvellement et poursuite de nos relations commerciales avec nos clients que nous remercions vivement !
Faut-il s’attendre à des tensions sur les prix dans les mois qui viennent ?
D’une manière générale, le monde est dans une tension inflationniste importante. Dès que les pays en forte croissance se remettent à consommer – c’est le cas de la Chine, de l’Inde, des États-Unis – on se retrouve face à une pénurie de matière première importante, ce qui signifie qu’il faut la payer cher. Ensuite, sur les récoltes, nonobstant les problèmes climatiques que l’on a connus en France, on est toutefois un peu moins pessimiste qu’on ne l’a été.
Enfin, tout ce qui va être périphérique à la matière première –emballages, logistique et transport – reste dans une tendance inflationniste forte. Les mises aux normes et les différentes lois vont également contribuer à rehausser les prix.
Ajoutons aussi une inflation sur les salaires du fait de la pénurie de personnel, mais cela demande peut-être de modifier les politiques RH dans les entreprises. Nous travaillons sur ces sujets au sein de Vivalya.
Quels sont vos projets ?
Nous sommes à l’aube de l’application de la loi Egalim, nous avons accentué le déploiement de nos outils informatiques afin d’assurer traçabilité, qualité de produit et de service. Dans cette dynamique, nous mettons tout en œuvre pour identifier les produits éligibles et accompagnons et encourageons nos fournisseurs dans l’atteinte des objectifs. La jeunesse de notre structure nous permet une certaine souplesse et dextérité dans nos démarches, nous avons une belle marge de progression, mais nous avons un socle solide, nous sommes convaincus que nous allons y arriver !
Nous avons rejoint l’Institut national de l’économie circulaire (Inec) en février dernier, nos adhérents pratiquent l’économie circulaire à travers diverses actions : l’approvisionnement local, le circuit court, la logistique verte – comme le programme Ecler – la lutte contre le gaspillage alimentaire, la valorisation des produits dits « déclassés », la saisonnalité… Ce qui nous a motivés également, c’est la dynamique de réseau et l’approche collaborative de l’Inec. Nous sommes une coopérative, notre force c’est de réfléchir, construire et agir ensemble, collectivement.
Une démarche intégrée par le Réseau Provence Dauphiné, qui a remporté un Défi antigaspi 2021 lancé en mars 2020 par la CCI Auvergne-Rhône-Alpes dans la catégorie « Commerce/GMS ». L’enjeu ? Réduire les pertes alimentaires et le gaspillage en un an seulement. L’arrière du dépôt de Provence Dauphiné Savoie s’est ainsi transformé en un joli jardin permacole, pédagogique et écologique.
Du point de vue logistique, nous sommes devenus adhérents du programme Ecler (Économie circulaire, logistique, écologie et responsable). Il s’agit d’un programme d’économie d’énergie pour le transport frigorifique. Les adhérents du réseau Vivalya sont des spécialistes de la distribution des fruits et légumes et des produits de la mer frais. La logistique fait partie intégrante de notre activité, cette démarche s’inscrit pleinement dans notre politique environnementale : celle de diminuer au maximum l’empreinte carbone liée à nos activités. Au total, ce sont 11 adhérents engagés dans le programme, pour près de 1100 véhicules.
Quels sont les grands défis de Vivalya dans les douze mois qui viennent ?
D’abord, intéresser les personnels à nos projets collectifs. Puis, passer avec succès, avec les clients, ce futur enjeu Egalim au 1er janvier parce que cela va être un bouleversement assez fort dans les marchés publics. Et ensuite, consolider nos volumes d’affaires 2019 pour se remettre en ordre de marche.
Puis enfin, nous avons la volonté d’accentuer ce qui nous caractérise : la proximité, le circuit court, l’offre locale et surtout la livraison du dernier kilomètre. Un dernier kilomètre primordial, pouvant parfois fait pencher la balance, nous disposons d’un réseau de distribution avec 75 dépôts proches des bassins de production, proche de nos clients, proche du produit qui facilite nos relations et nos opérations commerciales. Notre ancrage local est la garantie d’un service adapté, nos fruits et légumes par exemple, sont récoltés à proximité des restaurants et livrés aussitôt ! La fraîcheur et la qualité des produits sont ainsi préservées. Notre dispositif logistique n’est pas centralisé, il est optimisé et régionalisé, nous soutenons ce modèle car nous le considérons davantage comme un atout, plutôt que comme un inconvénient.
Comment se développe votre web app lavieadugout.fr ?
Depuis sa création, notre app web n’a cessé d’évoluer et d’être de plus en plus précise en termes de traçabilité et traitement de la donnée. D’ici quelques mois, nous pourrons dévoiler une nouvelle version qui, plus ergonomique pour l’expérience utilisateur, sera moteur de nos démarches. Par exemple, un restaurateur pourra localiser ses producteurs, consulter les fiches techniques des produits et télécharger outils de communication pour ses convives !
De plus, notre site internet fait peau neuve, nous travaillons sur tout notre environnement digital à la fois en interne à travers nos outils de traçabilité et supports techniques, et vers l’externe via un site plus interactif et vivant !
Exposerez-vous au Sirha qui se tiendra fin septembre ?
Non. Nous considérons que nos clients se déplaceront peu ou pas. Nous n’avions pas de suffisantes sur la fréquentation du salon, or il s’agit tout de même d’un investissement financier important.
Propos recueillis par Jean-Charles Schamberger
Lire et/ou télécharger Zepros Métiers Distributeurs RHD 12 - Juillet-Août 2021
De g. à d. : Alain Kleinbeck, commercial restauration Sapam ; Nicolas Rieffel, ambassadeur du savoir-faire gastronomique alsacien, qui a soutenu l’opération Huîtres Solidaires de l’adhérent Sapam ; et Jacques Wirrmann, P-DG de Sapam.
Sylvie Sevin de Maison Behe, commerçante et cliente Sapam, et Jean-Luc Copol, commercial Sapam marée, lors d’une dégustation d’huîtres proposées durant l’opération Huîtres Solidaires de l’adhérent Sapam.