[Top Indépendants 2021] « C’est passionnant de travailler à la restauration de demain »
A la tête d’une dizaine d’établissements, restaurants et clubs, à Nantes, Jérôme Guilbert n’a pas chômé pendant la crise et prépare le lancement de cinq projets pour le printemps et le doublement de son pôle jour. Cet entrepreneur passionné par les questions de ressources humaines et de RSE, prévoit de passer de 20 000 couverts/mois à plus de 40 000 en 2022 avec un chiffre d’affaires qui devrait atteindre les 22 M€.
Où en est votre groupe et comment se passe la reprise ?
Nous n’avons pas arrêté d’investir malgré le Covid et à rebours du marasme ambiant. Nous avions initié des chantiers qui ont évidemment pris du retard. Du coup, nous ouvrons en mars cinq affaires simultanément. Dans l’ancienne prison de Nantes, nous lançons deux bars-restaurants. L’un de 150 couverts et l’autre de 200. Au milieu, il y aura une salle événementielle baptisée Joséphine B. C’est un gros chantier de 1 400 m2 avec plus de 600 m2 d’espaces extérieurs. L’idée est de créer un pôle complémentaire avec ces trois entités et d’apporter des réponses à beaucoup de demandes, notamment en BtoB.
Quels types de restauration allez-vous y opérer ?
Il y aura Goguette, une guinguette élégante avec bar à huîtres et barbecue. L’offre ira du petit déjeuner au dîner et variera au fil de la journée et de la semaine. J’ai aussi décidé de travailler par saison : des paysagistes scénariseront l’établissement dans un thème donné, pour printemps-été ce sera la Grèce par exemple. C’est une approche très coûteuse qui nécessitera de réinvestir deux fois par an en aménagements et en théâtralisation du site. Mais cela nous permettra de dynamiser le lieu et de ne jamais lasser le client, de s’amuser tant sur l’offre culinaire que sur l’expérience client. Le second restaurant s’appellera Kuchi, un bar-restaurant asiatique branché sur deux niveaux avec un positionnement premium. En plus du bar à dim sums et du bar à sushis, nous aurons une carte de cuisine asiatique fusion élaborée. Nous avons recruté pour cela un jeune chef issu de la gastronomie. Il a des velléités à monter un jour son restaurant, nous pourrions à terme investir dans ce type de proposition. Je lancerais bien un étoilé pour compléter ce que nous avons déjà. Cela permettra de tirer toutes les équipes vers le haut. Nous préparons aussi, dans l’hypercentre de Nantes, un bar-restaurant festif sud-américain baptisé Amaya. Avec ces ouvertures, nous devrions doubler la partie jour du groupe et réaliser 25 000 couverts par mois supplémentaires.
Un développement qui va de pair avec du recrutement. Quel regard portez-vous sur les problématiques de ressources humaines qui animent le secteur ?
Nous avons en effet entre 90 et 100 salariés à embaucher mais, hormis les difficultés de recrutement, il faut se réadapter, revoir notre copie en termes de rapports avec nos équipes. La vie a changé, on ne peut pas rester sur des formats archaïques. C’est bien que cette crise nous oblige à une remise en question de fond. Nous avions déjà repéré avant la crise cette envie de nos salariés de vivre comme tout le monde. Cela passe par la conception des lieux qui doivent permettre de travailler la semaine 7/7j avec des services continus afin de proposer des plannings jour ou soir. Mais aussi par des hausses de salaires, des propositions de variables claires. En tant que chef d’entreprise il faut réaliser qu’augmenter la masse salariale est un investissement. Mon restaurant fait du chiffre à tels moments, mettons les ressources en face pour avoir des gens motivés et productifs, pas des collaborateurs qui subissent leur planning. L’autre élément clé est la transparence, notre profession n’est pas toujours la reine en la matière. On utilise la solution Skello avec des pointeuses à empreintes digitales. Tout est automatisé sur une application, chaque salarié dispose de l’appli au même titre que le manager et la DRH. Il ne peut pas y avoir de minute travaillée non considérée.
Vous investissez également dans la formation ?
Oui, nous montons un studio de création et de formation des équipes indépendant en centre-ville. Nous avions déjà Eleva, notre centre de formation agréé OPCO, mais là nous créons carrément une cuisine, un peu sur le format de Top Chef. Ce sera un studio de conception de recettes mais aussi de formation pour profiter des compétences que nous avons en interne et faire évoluer toute cette chaîne de cuisiniers, de serveurs et de barmans.
Votre développement fait aussi la part belle au outils numériques ?
En effet, nous avons accéléré notre digitalisation sur la gestion du temps de travail, sur les achats, nous automatisons les inventaires. Nous nous équipons de ces nouvelles caisses dites « ouvertes » qui autorisent un envoi d’informations sur d’autres API. Tout part des ventes. On peut faire des simulations de services, prévoir en fonction de la date et de la météo le nombre de couverts par établissement et donc le nombre de ressources nécessaires. On sait que tel serveur a telle préférence. La machine devient un vrai outil de management. On sait aussi que l’on va vendre telle catégorie de produits, on anticipe de façon à gagner en temps de service dans la sortie des plats. Après un gros travail de sélection pendant la fermeture, nous testons ces solutions depuis plusieurs mois en réel au Maria. C’est notre établissement avec le plus de volume, de diversité de clients et de limonade. A 12 000 couverts/mois on a de quoi faire en données. Nos clients de demain sont des gens qui ont 18 ans aujourd’hui et qui utilisent le digital pour tout. Cela transformera la restauration, nous sommes dans un virage à 90 degrés, en face il y a un mur. Il faut que les professionnels s’adaptent pour ne pas s’y heurter.
Qu’en est-il de vos engagements RSE ?
Notre chef exécutif a finalisé un accord avec les AMAP pour nos achats en matière de primeur. Nous avons un point de dépôt en centre-ville. Avant nous fonctionnions avec des distributeurs bio et locaux, désormais nous avons directement l’agriculteur en face de nous. Nous sommes également passés en énergie verte à 100 % sur toutes nos affaires. Cela coûte plus cher mais c’est un choix. Le traitement et la reprise des déchets était déjà en place. Le poisson nous arrive avec des bacs consignés… Nous travaillons tous les sujets RSE, le cerveau fume parfois ! Notre force est que nous faisons beaucoup de créations, nous intégrons les solutions dès le départ. Nous n’installons rien au sol pour éviter de se baisser, nous nous équipons d’ascenseurs pour les livreurs de boissons, nous n’avons plus des gamelles pleines d’eau à transporter mais des appareils ultrapointus comme le VarioCookingCenter de Rational qui se nettoie tout seul. Les constructeurs inventent des machines très chères mais qui évitent beaucoup de contraintes, à nous d’être capables de les financer. C’est difficile mais passionnant de travailler à la restauration de demain. C’est une chance pour quelqu’un comme moi qui a la maturité professionnelle, qui est suivi par des banquiers et de grosses équipes de participer à la création de ce nouveau monde.
Propos recueillis par Chloé Labiche