Recrutement : Les codes ont changé
L’effectif de l’hébergement restauration a reculé de 237 000 salariés en un an. Toutefois, les pistes de réflexion et les outils pour redonner au secteur l’attractivité qu’il mérite ne manquent pas…
Quinze postes à pourvoir ici, vingt autres là... mais zéro CV reçu ! Si les manques d'effectifs dans la branche HCR sont aujourd’hui légion, les candidatures se sont nettement taries. Il y a péril en la demeure. Au point que plusieurs affaires ne pourraient plus ouvrir ou mener à bien certains projets de développement. « Avec la crise du secteur, on s’aperçoit qu’il y a environ 10 restaurateurs qui recherchent un employé pour 1 employé qui cherche du travail ! » Ce constat, Hélène Gallais, jeune cofondatrice de Jobs & Chefs, n’est pas la seule à le faire. Les deux grands syndicats de la profession, l’Umih et le GNI, ont ainsi fait du recrutement l’un des thèmes principaux de leurs récents congrès nationaux. Même si les chiffres varient selon les sources, la conclusion est unanime : il manque partout du personnel, soit entre 120 000 et 150 000 postes. Le constat de la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques du ministère du Travail, de l’Emploi et de l’Insertion (Dares) révèle même une hémorragie plus sévère : entre février 2020 et février 2021, l’effectif de l’hébergement- restauration est passé de 1 309 000 à 1 072 000 (graphique ci-dessus). Il recule donc de 237 000 salariés alors qu’il croît de l’ordre de 50 000 par an au cours des deux dernières années. Ce repli marqué s’explique essentiellement par le moindre recrutement de nouveaux salariés : ils ne sont que 213 000 à avoir rejoint ce secteur entre les mois de février 2020 et 2021, soit presque moitié moins qu’un an auparavant (436 000).
Il faut s’y résoudre : la passion des employés ne suffit plus pour les faire rester. Et beaucoup ne s’accommodent plus des habitudes en usage dans le passé. Niveau de rémunération, conditions de travail réelles, coupures, pauses, valorisation des métiers, plans de carrière… tout doit être remis véritablement sur la table. Les négociations salariales qui viennent de s’engager apporteront sans doute un début de réponse. Il y a urgence en cette sortie de crise, d’autant que se profilent des échéances importantes pour le secteur : la France, qui ne cache pas ses ambitions en matière touristique, est appelée à accueillir des visiteurs de la planète entière lors de la Coupe du monde de rugby en 2023 et des Jeux olympiques et paralympiques de 2024. « Je pense que nous allons vers un changement de paradigme dans la restauration. Le client va devenir le collaborateur. On va supprimer les tâches pénibles, modifier les horaires, augmenter les salaires. Ma vision est que cela va fortement développer l'industrie, la massification et la robotisation car il faudra acheter moins cher », analyse le consultant Frédéric Loeb, de Loeb Innovation. Reste que tout ne dépendra pas seulement des initiatives des acteurs du secteur et du recours à de nouveaux outils, digitaux notamment (Badakan, Brigad, HCR-Emploi, Jobs & Chefs, etc.). L’État est aussi appelé en renfort.
CHIFFRES
1072000 salariés présents en HCR en février 2021 - dont 858 000 déjà présents 12 mois plus tôt - dont 213 000 non présents 12 mois plus tôt 3
3 800 démissions dans le secteur du HCR en juillet 2021 (contre 21 200 en juillet 2020 et 29 800 en juillet 2019)
14 900 licenciements pour motif personnel dans le secteur HCR (contre 10 300 en juillet 2020 et 12 400 en juillet 2019)
Source : Dares
“La plupart des établissements parisiens avec lesquels je travaille ne font plus de coupure. Ils ont deux équipes. Cela veut bien dire que l’on a pu trouver certaines solutions.“
Julien Deyrat, fondateur et directeur d’Ambassade Cabinet Conseil.
[AMBASSADE CABINET CONSEIL] « Des demandes beaucoup plus précises »
Les requêtes de recrutements ont toujours été nombreuses chez Ambassade Cabinet Conseil (de 350 à 400 placements par an en moyenne, base de 80 000 CV, offre de bilans de compétences, etc.). Ce qui a changé ce sont les paramètres. « Les employeurs font des demandes beaucoup plus précises. Ils savent qu’ils doivent proposer des salaires en cohérence avec les postes, des conditions de travail différentes, des avantages également : peut-être trois jours de compensation plutôt que 2, une semaine supplémentaire de vacances, voire un 13e mois… On sent que l’on est en mutation »,constate Julien Deyrat, fondateur et directeur. De petites structures pourraient songer en effet à mettre de telles conditions en place, sans attendre les syndicats ou la convention collective, afin de recruter et fidéliser. L’expert RH confirme cette pénurie sur les postes de chefs de cuisine et de seconds de cuisine qui vient s‘ajouter à celle des chefs de partie observée auparavant. Une pénurie qu’il analyse comme un repositionnement de la vie professionnelle lié à la crise du Covid.
[LA CHENEAUDIÈRE & SPA] Des collaborateurs « clients internes »
Nicolas Decker, propriétaire- dirigeant de La Cheneaudière & Spa, à Colroy-la-Roche (67), et son directeur général, Jean-René Grau, ont mis en place depuis plusieurs années une politique de gestion des équipes axée sur l’humain et la sincérité des actions en faveur de collaborateurs qu’ils considèrent comme des « clients internes ». C’est ainsi qu’en octobre 2020, le poste de responsable de la qualité de vie au travail a été créé. Il a été confié à Émilie Cigony, chef de réception présente depuis fin 2005 dans la maison et en qui Nicolas Decker a trouvé le profil idéal : des qualités humaines, une intelligence du relationnel, un enthousiasme et de l’empathie. « C’est une mission de terrain basée sur la confiance », indique l’intéressée qui évolue dans les différents services dans un mode « vis ma vie » afin de faire un « état des lieux » des tâches et des postes, et aussi de proposer des solutions en vue d'améliorer le quotidien des équipes. Elle apporte également sa contribution au processus de recrutement, en appui lors des entretiens d’embauche et des questions des candidats, ainsi qu’à l’intégration des nouveaux arrivants, avec un rôle important d’accompagnement.
Émilie Cigony fait office de référente et de facilitatrice dans de nombreuses démarches. Une initiative qui vient s’ajouter à d’autres bonnes pratiques déjà mises en place à La Cheneaudière & Spa : primes de participation, entretiens individuels, bilans de compétences, pointeuse pour rémunérer chaque heure de travail, solutions pour l’intéressement, mise à disposition de logements conviviaux pour le personnel avec animations, barbecue, et laverie, et beaucoup d’autres avantages. Environ 45 personnes sont ainsi logées, dont des stagiaires. Entre les 40 chambres de ce Relais & Châteaux ouvert à l’année, le spa de 2 500 m² et la cuisine, ce sont maintenant 110 personnes qui sont salariées.
[RESO] Des clés pour fidéliser ses équipes
Le groupement d’employeurs Reso a organisé une table ronde sur « les clés d’une bonne gestion RH » lors du dernier salon serbotel. La question est d’autant plus cruciale que « le marché du travail s’est inversé, c’est aux employeurs de susciter l’intérêt des candidats », a remarqué en préambule Émilie Martin, consultante RH chez Reso services. Alors que le CV devient rare, la qualité de l’accueil au moment du premier contact mais aussi la gestion de l’image de son entreprise sur Internet sont essentielles. une fois le salarié recruté, « le parcours d’intégration est déjà un moyen de le fidéliser », a estimé Émilie Martin. Restaurateur à Rouen, Éric Bloquet met systématiquement tout nouvel arrivant en binôme une semaine avec un référent. Daniel Reyes, qui accueille nombre de saisonniers l’été aux Tontons nageurs à La-Bernerieen-Retz, rassemble tout le personnel pour une grande réunion de partage des informations et des valeurs. Autre levier de fidélisation, la formation, « un super outil RH pour valoriser son salarié », a poursuivi Émilie Martin. Laquelle a vanté la solution de l’action de formation en situation de travail (Afest) pour les restaurateurs qui ne peuvent libérer leurs salariés. sur ce volet comme sur d’autres, Akto peut accompagner les employeurs dans leur politique RH, a conclu sa représentante catherine Duranton.
Thierry Goussin
[APPLI] Recrutement et accompagnement
Gratuite à son lancement en mars afin d’aider les restaurateurs à la réouverture de leur établissement, l’appli Jobs & chefs, dédiée à ces derniers et aux personnels de cuisine, vient de passer au mode payant. Plusieurs formules d’abonnement sont proposées : 1 mois (34,99 €), 6 mois (24,99 € par mois) et 1 an (19,99 € par mois). cela reste encore très compétitif, comme l’explique Hélène Gallais, cofondatrice, avec son frère Clément, chef de cuisine : « Il s’agit d’un accès à la plateforme, vous pouvez mettre 1 000 annonces par mois si vous le désirez ! Le but n’est pas d’assassiner les restaurateurs mais de proposer un outil qui va les aider, et ce, tout au long de leur carrière. » c’est pourquoi les écoles hôtelières ont notamment été intégrées sur la plateforme et que des communautés très ciblées ont été créées sur facebook : La Vie des chefs (17 500 membres dans le monde) et la Vie des serveurs (12 500 membres). Basée à Toulouse, la plateforme Jobs & chefs (restauration commerciale et collective) s’est fixé pour objectifs de susciter des vocations et de moderniser, via la digitalisation, le processus de recrutement. Les projets ne manquent pas : duplication de l’outil au service et à la sommellerie, développement des réseaux d’anciens élèves et des partenariats. une 2e levée de fonds est ainsi prévue l’année prochaine.
[MANAGEMENT] Remise en question
Le récent eh ! Talk « Il était une fois le service de demain » animé par Laurent Delporte (Delporte Hospitality) sur eh ! online* (EquipHotel), avec la participation de Denis Courtiade (Plaza Athénée), Fabrice Tessier (Accor), Caroline Ravenet (CFA Médéric) et Stéphane Trapier (La Tour d’Argent), avait pour objectif de proposer des pistes de réflexion pour aller vers une vision contemporaine des métiers du service en phase avec les attentes des nouvelles générations et les transformations que connaît le secteur depuis quelques années. Tous sont d’accord : le management a évolué ainsi que le vocabulaire. « On dirigeait une brigade hier, on accompagne une équipe aujourd’hui » ; « On ne recrute plus des CV, mais des personnalités » ; « Piercings, jeans, tatouages… les codes évoluent mais la qualité doit être là » ; « Il ne faut pas se mentir, nous allons vers des plannings à la carte », etc. Bref, la profession se remet en question pour attirer de nouveaux profils, y compris former de jeunes Européens.
*Replay sur www.ehonline.eu