La filière blé-farine-pain peut-elle participer au Grand réveil alimentaire ?
Une guerre alimentaire est en préparation. C'est ainsi que la Ministre de l'Agriculture Annie Genevard a introduit son discours du 8 décembre dernier. Conflits armés, hausse de la démographie, érosion des facteurs de production, volatilité des prix... autant de sujets abordés afin de souligner l'importance d'un "grand réveil", devant soutenir la souveraineté alimentaire du pays. Ces thématiques touchent de façon directe la filière blé-farine-pain, comme l'a prouvé la crise observée lors de l'éclatement des combats en Ukraine, entrainant une flambée brutale des cours mondiaux.
En lançant les Conférences de la souveraineté alimentaire, la Ministre de l'Agriculture souhaitait générer une prise de conscience collective : notre modèle, basé en partie sur des échanges mondialisés, est éminemment fragile. Il l'est d'autant plus que ceux qui le font tenir, les agriculteurs, sont sans cesse malmenés par des rémunérations insuffisantes, ne leur permettant pas de mener la transition vers des pratiques plus durables, ainsi que par les effets du changement climatique. "Dans les dix prochaines années, un actif agricole sur deux partira à la retraite", a rappelé Annie Genevard. Difficile de générer suffisamment de vocations pour remplacer ces indispensables acteurs de l'amont dans un contexte d'"agri-bashing", qui entretient le sentiment de déclassement des agriculteurs, reclus dans une France "périphérique". Des acteurs majeurs de la filière céréalière, à l'image de la coopérative auvergnate Limagrain, se sont réjouis de "voir notre pays se décider à hisser l’alimentation au titre d’axe stratégique majeur", comme l'a écrit Sébastien Chaffaut, CEO du groupe sur le réseau social LinkedIn. "Nous n’avons plus le luxe d’attendre car la capacité à produire avec des haut rendements signifie non seulement nourrir les français mais également disposer d’une arme en cas de crise : indépendance, diplomatie, adaptation au changement climatique et alimentation saine et durable", a-t-il rappelé.
Un nécessaire réarmement de la puissance agricole
La montée en puissance de la "guerre agricole" est déjà anticipée par les grandes puissances. Le financement de la politique agricole y a bondi sur dix ans : +40% en Chine, +86% aux Etats-Unis, +15% en Russie... alors même qu'il reculait de 19% en Europe. La Politique agricole commune (PAC) a été fréquemment étrillée, ce qui est une erreur aux yeux de la ministre. "Sur notre continent, nous devons lutter contre les tentations de la décroissance portées par quelques thuriféraires du décadentisme", a glissé la responsable politique, indiquant que la France s'opposerait à toute nouvelle baisse du budget de la PAC.
Investir et innover pour préserver le "grenier historique" qu'est la France
Sur le marché des grains, la France compte toujours parmi les acteurs majeurs, conservant sa position de 5è exportateur mondial de blé, derrière la Russie, les Etats-Unis, le Canada et l’Ukraine. La déprise agricole, liée notamment à des cours mondiaux désespérément faibles et ne couvrant plus les coûts de production, ainsi qu'une baisse des rendements, pourrait faire chuter le pays. "Pour la première
fois depuis 1977, la France, grenier historique de l’Europe et du monde, pourrait voir la courbe des importations agroalimentaires croiser celle des exportations, faisant de notre agroalimentaire un secteur en déficit commercial", a alerté la ministre. Pour illustrer la faiblesse de notre modèle, elle a cité l'exemple de "certaines filières", où les productions brutes sont exportées puis réimportées sous forme de produit transformé.
C'est notamment le cas pour la farine : nos voisins allemands importent environ 350 000 tonnes de blé français chaque année... qui sont transformées par leurs meuniers, avant d'être commercialisés en France sous la forme d'environ 250 000 tonnes de farine, souvent conditionnées en format 1 kg. Le manque de compétitivité des acteurs français pourrait amplifier le phénomène dans les années à venir. La solution ? Investir et produire plus, d'abord dans les champs avec des méthodes adaptées au dérèglement climatique, tout en allégeant le poids des réglementations pesant sur les acteurs de l'amont comme de l'aval, pour gagner en efficacité et donc en compétitive. "Nous pouvons débattre de modalités agronomiques, d’espèces végétales ou de pouvoir d’achat mais hâtons nous de nous saisir collectivement de cet enjeu majeur pour que la France reste un pays puissant.", a résumé Sébastien Chaffaut. La mobilisation collective de l'ensemble des acteurs sera en effet nécessaire : agriculteurs, opérateurs de la première et seconde transformation, distributeurs mais également consommateurs... "Des fermes françaises, des usines françaises, des magasins français et des consommateurs qui achètent français : voilà les quatre murs porteurs d’une Ferme France à même de résister à tous les vents", a esquissé Annie Genevard. Dans la filière blé-farine-pain, ce paysage semble être évident pour l'heure... mais sans doute bien moins demain : les entreprises françaises sont fragilisées et doivent faire face à la concurrence de groupes internationaux solides, à même de conquérir le marché grâce à des procédés bien rodés. De quoi nécessiter, là encore, un véritable réveil.