Ph. Barbier (CGI) : « Le travail de la CGI consiste à aider nos fédérations et leurs entreprises »

Jean Charles Schamberger
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Articles parus page 4 dans Zepros Distributeurs RHD 10 daté Décembre 2020.
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Entretien, réalisé le 20 novembre 2020, avec Philippe Barbier, président de la Confédération du commerce de gros et international.

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Quel bilan tirez-vous de cette année 2020 pour les grossistes du foodservice ?

Le cumul à fin octobre englobe la période du début d’année plutôt correct, acte 1. Puis, nous avons eu le 1er confinement, du 15 mars au 15 mai, que l’on peut appeler l’Acte II, lequel a été une véritable catastrophe avec des entreprises dont les portefeuilles de clientèles étaient à - 40 %, - 50 % - 60 %, tous segments confondus.

Certaines entreprises de nos fédérations très spécialisées dans l’approvisionnement de la restauration commerciale étaient à – 80 %. Et cela concernait aussi bien les filières des produits alimentaires que des produits non alimentaires et des boissons. Cette dernière a énormément souffert. Ce cumul englobe également un été qu’il faut considérer comme pas mauvais en province, voire bon, contrairement à Paris qui est resté à - 40 % cet été, c’est l’acte III.

De fait, une partie des entreprises, en particulier dans l’alimentaire et le non-alimentaire, avaient retrouvé le moral et espéraient finir l’année à - 10 %, à - 20 % ou à - 28 %. En septembre, certains chefs d’entreprise de nos fédérations avaient l’espoir de terminer l’année en évitant le dépôt de bilan et les grands licenciements. Ceci, grâce aux prêts garantis par l’État (PGE) et aux mesures de chômage partiel dont nous avons pu bénéficier pendant cette période de confinement.

À fin octobre, c’est-à-dire à la fin de l’acte III, nous pouvons considérer que les professionnels que nous représentons sont en moyenne à - 28 %, en valeur comme en volume, tous secteurs confondus. Avec une différence qui ne semble pas si importante que cela entre les distributeurs de la restauration commerciale, à - 31 % ou - 32 %, et ceux de la restauration collective à - 20 % ou - 25 %.

Qu’en est-il du deuxième confinement ?

Arrive alors l’acte IV, le reconfinement, qui est une catastrophe totale et une inquiétude majeure. La différence par rapport au 1er confinement, ce sont les écoles ouvertes et un certain nombre d’entreprises qui fonctionnent, et qui, en province, ont remis en route une partie de la restauration d’entreprise. Ce 2e confinement va plomber complètement le mois de novembre, et, pour avoir interrogé en direct certaines entreprises, je sais que nous allons retrouver des chiffres d’avril-mai. Reste à savoir ce qui va se passer en décembre. À date, a priori, rien.

Désormais, les entreprises s’inquiètent énormément et commencent à licencier, sans grands PSE visibles. Elles jouent beaucoup sur le turn-over, et ne remplacent pas les gens qui partent – retraites, démissions, etc. –, elles ne reprennent pas de CDD ni d’intérimaires, ou bien elles ont interdit les embauches depuis le mois de mars. Ce sont, pour l’instant, des réductions d’effectifs non visibles ou à bas bruit.

Ces réductions, pourtant fortes, ne suffisent pas. Tout le travail de la CGI consiste à continuer à aider nos entreprises, à faire qu’elles soient considérées comme autant en difficulté que leurs clients, à continuer ce combat exceptionnel que nous avons gagné pendant le 1er confinement, en faisant reconnaître le commerce de gros, en expliquant ce que sont sa fonction et sa valeur ajoutée. Et ensuite pour la partie foodservice, à prévenir que derrière les restaurateurs, les cafés, les hôtels, les écoles, il y a des professionnels qui les approvisionnent, qui ont eux-mêmes derrière eux des producteurs et des industriels, qu’il faut intégrer aux plans divers et variés et faire bénéficier d’aides particulières parce qu’ils sont au bord de la rupture. C’est le combat que nous menons avec nos fédérations, sur les exonérations de charges sociales, sur les différents dispositifs de chômage partiel, sur les reports de remboursement des PGE, et, pour les petites entreprises, sur le Fonds de solidarité.

Comment se déroule ce combat ?

Dans cette période de Covid, nous sommes en réunions tous les jours au téléphone avec les différents ministères. Nous avons ainsi réussi à ce que le commerce de gros de la RHD, alimentaire, non alimentaire et boissons, soit intégré dans les listes. Nous nous battons sur les seuils d’éligibilité. Et puis, la CGI s’est engagée, au niveau social, à travers sa convention collective, à signer paritairement un accord d’activité partielle de longue durée (APLD). C’est extrêmement important pour nos entreprises, notamment pour les moyennes et les petites dans le domaine du foodservice, qui n’ont pas d’organisations syndicales, et qui ont besoin que la branche signe un accord-cadre pour pouvoir ensuite s’en servir. Nous sommes en bonne voie. Étant entendu qu’entretemps nous avons réussi, avec d’autres, à ce que le chômage partiel soit prolongé jusqu’au 31 décembre. Si l’on n’essaie pas d’aider les entreprises par des exonérations de charges sociales, par le report des PGE, par un dispositif de chômage partiel, sur au moins toute l’année 2021, nous allons avoir une catastrophe.

Êtes-vous pessimiste pour l’activité de la période des fêtes ?

Très pessimiste. On ne devrait être qu’à 50 % de livraisons pour les repas améliorés dans les Ehpad et les maisons de retraite. Que feront les écoles et les entreprises, en termes de repas améliorés de fin d’année ? Et côté CHR, on parle d’une réouverture en janvier. Nous sommes forcément très pessimistes.

Certains pratiquent malgré tout la livraison et le click & collect…

C’est très bien cette agilité qui consiste à essayer de rebondir sur de nouvelles façons de consommer, ce nouveau segment de marché semble intéressant, les entreprises observent avec beaucoup d’intérêt cette opportunité.

Pour les grossistes, qui raisonnent en volumes, cela ne représente qu’une toute petite partie d’activité, de l’ordre de 5 %. En revanche, il faut intégrer cela dans la réflexion sur ce qui restera comme tendances lourdes « postconfinement », et observer quels seront les petits mouvements de chiffre d’affaires, à la marge, qui vont se faire.

Attention, toutefois, à une tendance de fond qui se développe aussi très fortement, à savoir la livraison à domicile à partir des « dark kitchens », c’est-à-dire des cuisines organisées. Cette livraison semble prendre, curieusement, pour 1/3 de son chiffre d’affaires sur le service à table et pour 2/3 sur les GMS. Reste à savoir qui va approvisionner ces dark kitchens, quels seront les grossistes qui auront des offres et des prix, qui les auront identifiées et qui sauront leur vendre des produits. Il n’y a que comme cela que la profession récupérera les tonnages et les chiffres d’affaires. Il faut vraiment qu’à la fin de ce confinement on se pose collectivement les questions des tendances lourdes. Par exemple, en restauration d’entreprise, il faudra dire avec lucidité quelle part de télétravail va subsister.

Quel bilan tirez-vous de la gestion de crise par la CGI ?

Nous avons géré avec succès la guerre et nous avons obtenu beaucoup de choses. À l’occasion de ce Covid, la CGI fait preuve d’une efficacité assez redoutable. Les fédérations et les entreprises le savent. L’État a compris qui nous étions. Hugues Pouzin, directeur général de la CGI, s‘est tellement battu avec ses équipes que

désormais dans les ministères on sait qui nous sommes. Le fait que le décret du 2e confinement intègre le commerce de gros dans les activités essentielles est une grande victoire. La seconde grande victoire est la création de la liste S1 bis. Nous avons fait du lobbying qui a servi, nous avons été reconnus, nous avons obtenu des aides, nous avons obtenu l’APLD qui est en cours d’installation au niveau de la branche et nous avons accompagné les entreprises, main dans la main, sur tous les détails. Ce 2e confinement se passe beaucoup mieux. Nous sommes mieux organisés et nos équipes sont devenues assez expertes. On peut dire qu’une telle crise est formatrice.

Propos recueillis par Jean-Charles Schamberger

S1 et S1 bis : des listes déterminantes

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Toutes les professions dont les activités ont été fermées administrativement lors du 1er confinement sont répertoriées dans une liste baptisée S1. Celle-ci englobe les restaurants, les bars, le tourisme, les salles de sport, l’organisation de congrès, etc. « Nous nous sommes ensuite mobilisés pour faire reconnaître les livreurs de ces secteurs fermés et qui étaient dans l’angle mort du rétroviseur parce que personne ne pensait à eux », explique Hugues Pouzin, directeur général de la CGI, laquelle compte 33 fédérations. D’où la création d‘une deuxième liste, baptisée S1 bis. « Cela a été compliqué car nous étions face à une administration qui ne comprenait pas l’impact des fermetures de tel ou tel métier dans la vie des Français. Il a fallu plusieurs vagues successives pour faire reconnaître les secteurs. Nous avons eu beaucoup de mal par exemple pour les entreprises de distribution automatique ou encore de publicité par l’objet. Nous n’avons pu les faire reconnaître que très récemment », poursuit Hugues Pouzin. Un enjeu de taille, car ne pas être sur cette liste S1 bis prive de toute aide supplémentaire et limite l’accompagnement de l’Etat aux aides standards destinées aux entreprises qui continuent de fonctionner.
J.-C. S.

Ne pas couper le contact avec l’assurance-crédit

Lors de cette 2e vague de confinement, les assureurs-crédits, inquiets, se sont intéressés davantage à la solidité financière des grossistes. La CGI a donc travaillé dans deux directions. D’une part avec le médiateur du crédit Frédéric Visnovsky ; d’autre part avec les assureurs, Euler Hermès, Coface, etc., pour leur expliquer que le secteur n’est pas plus dangereux qu’avant. « Il y a tout un travail pédagogique que nous menons avec les fédérations. Ensuite, nous accompagnons les entreprises, au cas par cas, dans leurs relations avec les assureurs-crédits. Nous prenons rendez-vous avec des arbitres pour expliquer qu’il n’y a pas de raison de dégrader aussi fortement l’entreprise. Tout comme avec les banquiers, il faut donner des informations régulièrement et tenir au courant de son activité, de ce que l’on fait ; par exemple, en matière de réduction de ses coûts ou de surveillance de ses crédits clients », explique Hugues Pouzin.
J.-C. S.

Jean Charles Schamberger
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