Expériences exigées !
Le mot est sur toutes les lèvres et au cœur de tous les concepts innovants : l’expérience. Désormais nourrir ses clients ne suffit plus à la réussite d’un restaurant, il faut construire des lieux de vie où les attirer, les garder et surtout les fidéliser.
64 % des Français vont au restaurant pour passer un bon moment, devant le fait de bien manger, motivation principale pour seulement 59 % d’entre eux (Enquête Qualimetrie/Vertone 2019). Derrière ces chiffres, une réalité : des attentes toujours plus fortes et multifacettes des clients. « Dans les années 1990, on cherchait un produit, dans les années 2000 nous étions dans des typologies de clients, aujourd’hui nous sommes dans la relation, dans l’expérience recherchée. Le restaurateur doit être un opérateur complet de convivialité », analyse Bernard Boutboul, président de Gira. Un phénomène encore renforcé par le Covid. Le boom de la digitalisation a notamment fait grimper la qualité comme la notoriété de la livraison et du click&collect. « Pour pousser le client à se déplacer, il faut désormais relever fortement nos exigences envers les lieux physiques », souligne Dan Cebula, fondateur et CEO du cabinet Depur Expériences. Pour le consultant, le Covid, associé à la situation en Ukraine, a aussi eu pour conséquence de malmener le business model de la restauration. « L’équation est difficilement tenable entre les difficultés de matières premières, de ressources humaines, de foncier… C’est la raison pour laquelle de nouveaux acteurs de la restauration s’imposent avec des univers très singuliers, des business models revus. Tout cela milite pour une restauration de plus en plus expérientielle ».
Parmi les grands fondamentaux du genre, il y a la nécessité de créer des lieux de vie déclinant des offres tout au long de la journée afin de répondre aux différentes aspirations des clients et moments de consommation. Même des chaînes populaires et familiales s’y attellent comme le prouve le nouveau concept de La Pataterie qui propose une carte pour l’afterwork, met le bar en vedette dès l’entrée et affiche des espaces cosy. La restauration expérientielle sait également mêler plusieurs activités dans un même lieu pour créer du flux et ne négliger aucun détail : identité culinaire forte, uniformes, musique, vaisselle, accueil... « Une expérience client convoque les cinq sens. Tous les basiques doivent être maîtrisés. Se limiter à une seule force, que ce soit la décoration, le healthy ou le fait-maison, c’est un peu le « smic de la restauration ». Il faut une approche globale », conseille Dan Cebula qui souligne que les clients que son cabinet accompagnent dans cette voie réalisent deux à trois fois les estimations de performance attendues.
Et les bénéfices vont encore au-delà du taux de remplissage ou de rentabilité. Travailler l’expérience a une influence déterminante sur la motivation et la fidélisation des équipes. Un point que des restaurateurs comme Jérôme Guilbert, à la tête de plusieurs affaires à Nantes et qui prépare un vaste lieu de vie dans l’ancienne prison de la ville, ont bien compris : « Il faut pouvoir travailler en continu afin de proposer des plannings jour ou soir. Nous y pensons dès la conception de nos lieux ». Un constat que partage Dan Cebula pour qui le sujet de la marque employeur est un enjeu majeur. « Les nouvelles générations ont besoin de beaucoup de sens. Il faut un projet solide, un vrai story-telling. Toutes les stratégies que l’on met en place en matière d’expérience client doivent d’abord être pensées en termes d’expérience collaborateur. Tout doit être aligné, c’est la clé du succès ».
CHIFFRES
64 % des Français vont au restaurant pour passer un bon moment, devant le fait de bien manger (59 %). (Enquête Qualimetrie/Vertone 2019).
1 Français sur 5 a arrêté de fréquenter un restaurant (dans les 6 derniers mois). 28 % pour la mauvaise qualité du service et 21 % pour le mauvais accueil des équipes. (Enquête Qualimetrie/Vertone 2019).
85 % des personnes interrogées pensent que la musique est un marqueur fondamental dans un établissement (Sacem).
16 mètres de long pour le grill au charbon de bois installé dans le restaurant parisien Andia du groupe Moma.
« La restauration expérientielle c’est mélanger des activités dans un même lieu, avoir compris que le consommateur est multifacette, multi cible. La food ne suffit pas à faire tenir un business model, il faut être une marque. »
Dan Cebula, fondateur et CEO du cabinet Depur Expériences
Tout feu, tout flamme
Décoration magistrale, assiettes dressées avec créativité ou animations pointues, les restaurants redoublent d’imagination pour en mettre plein la vue à leurs clients. Beaucoup vont désormais plus loin que les fameuses cuisines ouvertes et remettent la flamme à l’honneur grâce à du matériel de plus en plus innovant. C’est notamment le cas de Julien Dumas, le chef du Saint James à Paris, qui vient de s’équiper d’un brasero-plancha Ofyr. « Non seulement c’est stimulant, pour mes équipes et moi, de revenir à l’ADN de notre métier qu’est le feu, mais cela permet également de proposer aux clients une autre expérience », explique-t-il. L’établissement, qui appartient au Groupe Bertrand, déclinera ainsi cet été, en plus de sa table gastronomique d’une vingtaine de couverts, une carte plus simple « autour du feu avec des produits très bien sourcés » servie à l’extérieur pour 70 couverts. Même mise en scène chez Andia, lancé il y a quelques mois par le groupe Moma en lieu et place de La Gare dans le XVIe arrondissement de Paris. Le restaurant au cadre luxuriant qui s’articule autour de la cuisine des Andes, renferme un grill au charbon de bois long de 16 mètres. Installé dans le patio, il permet de réaliser brochettes de poulet, de poisson ou de bœuf maturé. Des flammes également au menu de la nouvelle marque Oh Cinq Sens imaginée par Laurent Probst et le chef lyonnais Christian Têtedoie qui décline deux appareils de cuisson baptisés Alpha et Omega. Cette verrine et cette assiette pour brochettes permettent aux clients de donner la dernière touche à la recette en réalisant eux-mêmes cuissons et flambages grâce à des alcoolats hyper concentrés. Une animation qui a aussi des avantages en termes de rentabilité. « C’est un peu comme le soufflé au Grand Marnier. Quand cela part en salle, ça fait le show, tout le monde en veut. C’est génial car nous avons en moyenne 70 couverts dans notre bistrot, quand nous vendons 30 brochettes cela fait autant d’assiettes qui ne sortent pas de la cuisine. Cela réduit le temps horaire du personnel », se félicite Christian Têtedoie
Pizza et room service
Si certains acteurs de la livraison essaient d’innover en termes de goodies, de digital ou de packagings, l’expérience demeure encore la chasse gardée de la restauration à table. Big Mamma, comme à son habitude, tente de bousculer un peu cette réalité. L’opérateur de restauration italienne festive s’est associé pour cela avec Staycation, apporteur d’affaires le week-end pour les hôteliers, via Napoli Gang, sa marque dédiée à la livraison. Pendant quelques semaines, les clients ont pu réserver une soirée « pizzama » avec pizzas, tiramisu et prosecco servis en room service dans leur lit queen size. Une offre disponible à Paris à l’Opéra Liège et au Tribe Batignolles ou à Lyon dans l’hôtel Silky ou le Carlton.
Under the Sea dans le grand bain
Une expérience immersive au sens littéral du terme. Un tout nouveau restaurant de 700 m2 et 100 places assises a ouvert ses portes mi-mars dans le XIIIème arrondissement de Paris sous la houlette du groupe Ephemera. Baptisé Under The Sea, l’établissement propose de marier gastronomie et plongée en eaux profondes. L’équipe a pour cela fait appel à plusieurs experts de la création d’atmosphères comme Henriette & Compagnie, structure habituée aux décors de cinéma ou Superbien, studio dédié à la création d’expériences immersives. Quant à la vaisselle, évidemment sur le thème des océans, elle est signée Degrenne et Pordamsa. Pour ce qui est de la carte, elle a été conçue par Loris de Vaucelles, jeune chef passé par les cuisines de Thierry Marx et Sylvestre Wahid, qui est ici épaulé par une brigade de 20 personnes. Le chef privilégie une cuisine locale et de saison avec des poissons tous issus de la pêche française et durable. On peut ainsi déguster un Tataki de truite, un Wok de légumes croquants, sauce ponzu ; un Ceviche de dorade, avocat, mangue, combava, lait de coco, citron vert, coriandre ; ou encore un Thon spicy au sancho, riz thaï et sauce Sriracha. À côté du restaurant, le bar, lui aussi immersif, permet de déguster cocktails et tapas dans ce même décor aquatique. À l’origine de ce pari innovant et spectaculaire : Jade Frommer, Annaig Ferrand et Loris de Vaucelles, un trio de jeunes entrepreneurs de la restauration diplômés de l’Institut Paul Bocuse. Aux côtés de ce groupe qui entend développer des restaurants immersifs de ce type, des soutiens de taille à l’image de l’homme d’affaires Xavier Niel ou d’Elisha Karmitz, directeur général du groupe MK2.
Villa M, de la santé à l’assiette
La santé, le bien-être et l’hospitalité, tels sont les grands piliers de Villa M, nouveau concept protéiforme de 8 000 m2 ouvert en février dans le XVe arrondissement de Paris. Un lieu de vie imaginé par Amanda Lehmann et Thierry Lorente du Groupe Pasteur Mutualité avec le créateur Philippe Starck, les architectes Olivier Raffaëlli et Guillaume Sibaud, mais aussi Paris Society, le groupe dirigé par Laurent de Gourcuff. Ce dernier opère la partie hôtellerie et restauration qui décline une offre festive et haut de gamme comme il en a le secret avec brunch, programmation musicale live, carte de cocktails inventive, brunch, animations pour les enfants, vaste rooftop arboré avec vue sur la Tour Eiffel et le Dôme des Invalides… Au menu de ce vaste lieu, il y a également un open-space de 20 bureaux, des espaces de co-working mais aussi un club de boxe et de fitness et des salles de yoga. Car Villa M est en outre une Maison Sport-Santé labellisée par le ministère des Sports et de la Jeunesse et le ministère des Solidarités et de la Santé. Autre particularité de taille : l’établissement accueille un centre de prévention innovant dédié aux professionnels de santé et à tous ceux qui font de leur santé une priorité.
Maison Louveciennes se met en Seine
Voilà un chef qui n’hésite pas à jouer plusieurs partitions. David Cheleman est à la tête du Coq de Bougival (78), véritable institution relancée en 2019 et dont il fait renaître avec précision la cuisine traditionnelle et bourgeoise. A un jet de pierre, et pourtant dans la commune voisine de Louveciennes (78), il a ouvert un autre établissement en 2020 baptisé Maison Louveciennes dans lequel le restaurateur décline « une cuisine plus contemporaine mais toujours sur la même base de produits frais travaillés sur place ». Un lieu situé en bord de Seine et qui sait s’adapter aux saisons et aux envies des clients. L’hiver, le lieu recrée une ambiance de chalet montagnard avec sapins, peaux de bêtes, rondins de bois, luges chinées, bûches, skis vintage, guirlandes lumineuses avec des plats réconfortants comme l’aligot, la tartiflette, les churros au chocolat gianduja ou l’irish coffee. A la belle saison, place à la plage de sable fin, aux transats, au terrain de pétanque et à la vaste terrasse ensoleillée où déguster Poulpe cuit à la braise, Gambas à la plancha ou Épaule d’agneau confite. Pour compléter l’expérience, une nouveauté est au programme cette année : un bar à mojitos qui ouvrira à partir de mi-mai sur la plage.