Comment la pizza est-elle devenue l’une des recettes les plus populaires au monde ?
A l’occasion de la journée mondiale de la pizza, le 17 janvier, Gregorio Fuschillo, professeur associé de marketing à Kedge Business School, revient sur l’histoire de ce plat originaire des quartiers pauvres de Naples, qui a conquis le monde. Pour cela, il analyse son itinéraire de Naples à Marseille, New York et Chicago. Un voyage qui a jeté les bases de son ascension en tant que symbole de la culture populaire et de consommation.
Entre la fin du XIXe siècle et les vingt premières années du XXe siècle, la pizza quitte la région napolitaine pour s'intégrer dans de nouveaux contextes culturels comme dans le sud de la France et l'est des États-Unis. Au milieu du XIXe siècle commence alors la première grande migration italienne, également connue sous le nom de diaspora italienne (1876-1921). Des millions d’Italiens ont quitté leur pays d’origine pour trouver de meilleures conditions de vie dans les Amériques, notamment en Argentine, au Brésil, au Canada, en Colombie et aux États-Unis. New York Marseille étaient alors deux destinations privilégiées des immigrants Italiens. En effet, les bateaux qui les transportaient faisaient d’abord escale dans le port de Marseille, et de nombreux Italiens qui ne se sentaient pas disposés à poursuivre le long voyage à travers l'Atlantique préféraient construire une nouvelle vie au bord de la Méditerranée.
Plus que la pizza, c’est le camion à pizza qui différencie les deux villes. Après les pizzerias introduites par la deuxième génération d’immigrés napolitains, la pizza a trouvé un autre moyen inattendu de se répandre dans tout le pays : le camion à pizza. C'est une invention marseillaise originale et qui a donné naissance à un métier toujours florissant aujourd'hui. En 1964, Jean Méritant (alias Jeannot) construit le premier camion à pizza en fixant un four à pizza sur une remorque et en l'attelant à son petit fourgon, une Renault Estaffette. Il parcourt les quartiers de la ville, préparant des pizzas depuis le camion et servant une clientèle fascinée par le spectacle du feu ambulant. Avec les camions-pizzas, les pizzas parvenaient à la périphérie de la ville, aux couches de population plus populaires qui n’avaient pas les moyens de se rendre dans les trattorias du centre-ville.
Les camions à pizza sont soudain devenus des lieux de rassemblement pour boire l'apéro, manger la pizza sur place, et passer la soirée à discuter avec des amis, des habitués, des passants et le pizzaïolo.
Entre les années 1960 et 1980, les camions-pizzas diffusaient la pizza de Marseille vers le reste des grandes agglomérations du pays. Dans une certaine mesure, les camions-pizzerias ont joué en France le même rôle que les chaînes de pizza comme Pizza Hut et Domino’s aux États-Unis. Ils ont contribué à imposer le standard du produit, à diffuser sa pratique de consommation, à générer une socialité autour de lui et à intégrer le plat dans les rituels domestiques et sociaux de la consommation alimentaire française.
Cependant, l'influence des camions-pizzas dans la diffusion de la culture de la pizza a été surtout significative dans le sud de la France, de la Provence jusqu'à une ligne imaginaire allant de Nantes à Besançon. Dans le nord du pays, et notamment en région parisienne, le modèle des chaînes de restauration rapide et de livraison de pizzas a prévalu. En 1987, Pizza Hut ouvre son premier restaurant dans la capitale française et démarre son développement en franchise en 1989. La même année, Domino's Pizza s'implante en France et une chaîne de pizza française, Spizza 30, entre sur le marché de la livraison de pizzas en restauration rapide. En 1993, Spizza 30 fusionne avec Pizza Hut et passe de 15 à 55 restaurants, la plupart concentrés à Paris et sa région. Le succès des chaînes de restauration rapide et de livraison doit beaucoup à la l’intégration de la pizza dans les rituels alimentaires sociaux grâce aux camions à pizza, mais aussi à l’enchevêtrement avec les pratiques alimentaires domestiques que la pizza surgelée a créées depuis les années 1980.
Les marques de pizzas surgelées (Buitoni et Dr. Oetker) sont entrées sur le marché français au début des années 1980, ciblant le segment de la consommation alimentaire à domicile que les camions à pizza et les pizzerias ne pouvaient couvrir que partiellement.
Aux Etats-Unis la pizza a subi une transformation culturelle, qui a à son tour a façonné la culture locale. La Chicago Deep dish en est un exemple éclatant. La pizza Chicago style est le résultat de l’influence du principe culturel américain d’abondance sur un plat né dans un contexte culturel de pauvreté. À Naples, la pizza est née de la nécessité de proposer quelque chose de savoureux avec peu d'ingrédients.
Ainsi, dans une pizza napolitaine, les ingrédients sont peu nombreux et répartis sur tout le disque de pâte. À l’inverse, à Chicago, les ingrédients de la pizza sont abondants et empilés comme dans une tarte. La pizza Chicago style a introduit de nombreux changements importants dans la fabrication de la pizza.
Premièrement, le fromage est en bas et la tomate en haut. Ce faisant, la pizza Chicago style inverse la recette napolitaine où la tomate est la base des garnitures secondaires comme le fromage et autres. Ensuite, la pizza Chicago style est cuite au four électrique plutôt qu’au four à bois. Enfin, elle est préparée à l’aide d’un plat allant au four plutôt que d’être fabriqué à la main par le pizzaiolo, et c’est pour cela qu’il est aussi appelé « Deep dish ».
En effet, la pizza Chicago style dévoile les principes de la culture alimentaire américaine des années 1940, basés sur l'industrialisation et la standardisation, par opposition à la fabrication artisanale de la culture napolitaine.
Oui, et Marseille à l’époque de la vague migratoire italienne est un bon exemple du rôle d’intégration sociale joué par la pizza. A l’époque, la pizza qui a soudainement gagné en popularité était la pizza blanche.
La pizza blanche est la pizza prototypique, sans sauce tomate, et garnie uniquement d'huile d'olive, d'ail et d'origan, mais parfois aussi de saindoux et de petits poissons (alevins). Les raisons du succès de la pizza blanche à Marseille sont à chercher dans le type de relations que la communauté italienne entretenait avec les Français. Bien qu'ils soient stéréotypés, les Napolitains (et aussi les Siciliens, une autre grande communauté marseillaise à cette époque) présentaient de fortes similitudes culinaires avec la culture culinaire française locale, comme l'utilisation de l'huile d'olive, de l'ail, de l'origan et des anchois, entre autres.
La pizza blanche a permis aux Napolitains, aux Siciliens et aux habitants de Marseille de partager quelque chose de similaire, permettant ainsi de mieux gérer leurs autres différences. La pizza blanche napolitaine se marie harmonieusement avec les anchois chers aux Siciliens et avec des produits typiquement provençaux, comme l'ail local, l'huile d'olive et l'origan, mais aussi avec la tomate provençale (pendelotte) qui, plus tard, permit la diffusion de la pizza rouge. Ainsi, la pizza blanche apparaît comme le symbole de la symbiose et de l’intégration harmonieuse entre les trois ethnies peuplant Marseille à la fin du XIXe siècle.
Gregorio Fuscillo a été chercheur invité à l'université technologique de Nanyang, à Singapour, au SDU (Syddansk Uni versitet), au Danemark et au RMIT, à Melbourne, en Australie, à Schulich School of Business, à Toronto, au Canada. Ses intérêts de recherche portent sur la culture de consommation, les fandom studies, la moralité dans le marché et le branding. Il est l’auteur d’articles académiques publiés dans des revues telles que Journal of Business Ethics, Marketing Theory, European Journal of Marketing, Journal of Consumer Culture, Journal of Consumer Behaviour, la Revue Française de Gestion.