[Top 100] Laure Bomy : « Nous ferons un 1er bilan à la rentrée, mais tous les voyants sont au vert »

Jean Charles Schamberger
Image
Laure Bomy

Entretien avec Laure Bomy, directrice générale de la FNB. Réalisé le 16 juin.

Partager sur

Q[Top 100] Laure Bomy : « Nous ferons un 1er bilan à la rentrée, mais tous les voyants sont au vert »uelle est la situation économique des entreprises, de vos adhérents, après dix-huit mois de crise ?

Entre 2019 et 2020, les distributeurs-grossistes en boissons ont perdu en moyenne 45 % de leur chiffre d’affaires avec des pics à - 90 % et - 95 % lorsque leurs clients, cafés et restaurants étaient à l’arrêt. Les 5 à 10 % de chiffre d’affaires résiduels provenaient de livraisons pouvant encore être réalisées auprès de la restauration sociale. Certains adhérents, pour la plupart grâce à leur activité de caviste, ont pu limiter leur perte, mais leur baisse d’activité était tout de même de l’ordre de 70 %.

Notre secteur d’activité n’avait jamais connu de mise à l’arrêt et a donc vécu un bouleversement sans précédent. Cette crise, qui a été dramatique humainement, socialement et économiquement, a aussi révélé des moments exceptionnels de solidarité, d’entraide et d’unité. La profession a su se retrouver et prendre à bras-le-corps le sujet et sa défense, que les entreprises soient adhérentes ou pas à la FNB, que ce soit au travers de la mobilisation en région ou d’initiatives collectives comme «  J’aime mon bistrot ». Je crois que l’on n’a jamais autant parlé du commerce de gros de boissons qu’en 2020. On ne peut que se féliciter de tout ce que nous avons obtenu pour aider nos membres à faire face à la crise.

La profession a été visible et a pu faire entendre sa voix auprès du gouvernement. Si, in fine, les différents acteurs, fournisseurs et distributeurs ont été accompagnés, ils n’étaient pas tous au même niveau de dépendance. Dès novembre, nous étions en contact avec Bercy très à l’écoute, mais alors peu enclins à reconnaître les particularités du commerce de gros de boissons et les conséquences de la mise à l’arrêt de nos clients sur nos propres structures. Il a fallu multiplier les actions et les rendez-vous pour, enfin, disposer du même niveau d’accompagnement que nos clients. Nous avons également pu nous appuyer sur les services de la CPME qui a réalisé un travail exceptionnel pour nous soutenir et relayer nos particularités et spécificités. Localement, la mobilisation des adhérents a été très importante. C’est la conjugaison de toutes ces forces qui a permis de percer.

La deuxième bataille, de janvier à mai, a porté sur l’aide aux coûts fixes, laquelle dans sa première version n’était pas adaptée aux groupes. Nos partenaires sociaux se sont également très vite emparés des sujets et ont, eux aussi, travaillé à nos côtés pour accompagner les entreprises et salariés de la branche.

 

Y a-t-il eu des défaillances ?

À l’heure où je vous parle, je n’ai pas eu connaissance de défaillances parmi les grossistes en boissons. Les aides mises en place par le gouvernement, même si elles tardent à arriver, adossées au dispositif d’activité partielle et au PGE, nous ont permis jusqu’alors de tenir. D’ailleurs, globalement, nous n’observons pas encore de réelles défaillances non plus chez nos clients.

 

L’heure de vérité sera-t-elle en septembre ?

L’heure de vérité sera plutôt courant 2022. Septembre sera un premier rendez-vous « bilan postreprise » qui doit nous permettre de répondre aux interrogations actuelles de type : « Est-ce que l’on passe la saison ? » ; « Est-ce que l’on restera ouvert ? » Nous sommes globalement optimistes, compte tenu notamment du développement de la vaccination et des gestes barrières qui sont plutôt bien intégrés et respectés. Il nous faut cependant rester prudents. Notre secteur est l’un des plus durement touchés. Les mesures d’aides d’urgence et l’activité partielle ont permis d’éviter bon nombre de drames humains.

Dans le même temps, les entreprises ont considérablement augmenté leur niveau d’endettement : 85 % d’entre elles ont sollicité le PGE, dès la première partie de crise. Toujours à l’arrêt en avril dernier, la plupart ont fait le choix de reporter de un à cinq ans les échéances, ce qui veut dire que la réalité des remboursements effectifs commencera plutôt l’année prochaine. Même si cela prendra du temps, compte tenu des mesures de soutien à l’activité, de la solidarité mise en place, et de l’accélération de certaines transformations dans les entreprises, dès lors que les défaillances clients ne seront pas trop nombreuses et que les consommateurs seront au rendez-vous, bon an, mal an, notre secteur, qui a su faire preuve d’une formidable résilience, s’en sortira.

 

Les aides de l’État sont-elles bien arrivées chez tous vos adhérents ?

C’est très long. Certains adhérents nous appellent pour nous dire qu’ils attendent encore l’aide de février ou de mars. Il faut s’armer de patience, mais elles finissent toujours par arriver. Soulignons que nous avons 30 à 40 structures qui sont des groupes d’une certaine taille, pour lesquelles c’est surtout l’aide aux coûts fixes qui va être salutaire. Or, celle-ci ne sera sans doute pas constatée dans les comptes avant octobre-novembre. Tout en accompagnant la reprise, et malgré un niveau de trésorerie quasi nul, il faut donc pouvoir tenir.

 

Comment se déroule ce début de reprise ?

Sur le mois de mai, soit à peine quinze jours d’activité, les entreprises ont retrouvé en moyenne 50 % de leur chiffre d’affaires de 2019. C’est plutôt encourageant sachant que tous leurs clients n’avaient pas ouvert. Pour beaucoup, les réapprovisionnements sont ceux d’ouvertures de points de vente, et sont de fait consommés sur plusieurs jours voire plusieurs semaines.

L’appréciation de la réalité de la reprise pour notre secteur se fera donc sur une période beaucoup plus longue. Nous ferons un premier bilan à la rentrée, mais tous les voyants sont au vert : les bistrots ont manqué aux consommateurs et les signes d’une hausse des dépenses cet été sont encourageants. Le moral est enfin au beau fixe malgré des difficultés importantes en matière de recrutement.

 

Quelle est la situation de l’emploi dans les entreprises ?

En 2020 et jusqu’à fin avril, l’activité partielle a concerné 85 % des effectifs. Les entreprises se sont attachées à préserver les emplois et ont été très volontaristes pour entretenir les liens, même à distance. Les dépenses en formation ont augmenté de 38  % par rapport à 2019 et plus de 1 salarié sur 4 en a bénéficié.

Certains métiers étaient déjà en tension avant la crise, notamment dans la filière logistique : les profils de livreurs et les agents de manutention sont très recherchés. Avec l’explosion de la livraison à domicile, la crise a accéléré cette tendance. Les entreprises ont également à faire face à un nouveau phénomène : celui des démissions. Durant cette longue période sans activité, et face au manque de visibilité quant à la reprise effective, les salariés ont saisi certaines opportunités. La pandémie a accentué la pénurie sur certains postes : près de la moitié des besoins ne sont pas couverts, y compris sur les contrats saisonniers.

 

Vos adhérents auront-ils les moyens de rembourser leur PGE ?

Ils sont optimistes. Ils ont bien géré et ont étalé les remboursements. Si la reprise est au rendez-vous et que l’on retrouve des niveaux d’activité proches de 2019 dès 2022, ils auront les moyens de faire face.

En revanche, ces PGE ont augmenté le niveau d’endettement des entreprises et ce niveau d’endettement impacte inévitablement leur capacité d’investissement sur les trois ou quatre prochaines années. Un rééchelonnement de ces échéances serait donc tout à fait profitable.

 

Cela peut-il remettre en cause certains investissements en matière de développement durable ou de digitalisation ?

Malgré les incertitudes, les peurs et les risques, nos entreprises ont continué et même accéléré, pendant la crise, des chantiers déjà amorcés, notamment sur la digitalisation et l’intégration des piliers de la RSE. Cela fait une dizaine d’années que la FNB encourage ses membres à devenir des chefs d’entreprise vertueux, capables d’allier l’épanouissement et la qualité de vie au travail à la performance économique. La crise a favorisé plus encore la prise de conscience des entreprises quant à la nécessité d’intégrer ces enjeux dans leur approche, leur façon de faire et la structuration de leur offre de services. Ils seront bien sûr vigilants, mais les grossistes en boissons sont agiles et savent faire preuve d’une grande capacité d’adaptation !

Nos membres exercent un métier de services. La FNB tente de mettre en lumière la vision sociale de l’économie qui est in fine intrinsèque à leur activité. Le label sectoriel que nous portons les y encourage et les accompagne dans leur propre évolution.

Bien évidemment, pour l’heure, on ne peut pas dire que l’on est sorti de la crise. Nous avons encore besoin d’être accompagnés mais la (re)construction de notre filière est en marche. Le « quoi qu’il en coûte » doit effectivement avoir une fin mais cela doit être progressif, proportionnel et ciblé. Il faut tenir compte des impacts de la crise dans le temps et l’État doit également apprendre de cette crise. Certains efforts déjà engagés avant la crise doivent être accélérés. Je pense notamment à la baisse des impôts de production ou encore au soutien à l’investissement des TPE/PME qui doit être accentué. Enfin, il est urgent d’alléger les normes et process administratifs qui étouffent et refrènent trop souvent les projets.

 

Quels défis vos adhérents auront-ils à relever dans les douze prochains mois ?

La crise a accéléré les évolutions observées avant elle quant aux attentes et exigences des consommateurs (digitalisation, traçabilité, produits locaux, bio, fait maison…) et induit une accélération de la transformation des établissements et du paysage de la consommation hors domicile. De plus en plus de points de vente développent une approche mixte de type caviste/bar à vins ; la recherche d’un meilleur équilibre entre vie personnelle et travail, et le recours au télétravail redistribuent les cartes entre zones rurales ou semi-rurales et très grandes villes… Nos défis sont donc multiples !

Au-delà de réussir la reprise, il nous faut accompagner la mutation de nos clients, ce qui signifie accélérer notre propre mutation. Tout en respectant la diversité de nos entreprises, nous avons aussi besoin de mener une réflexion collective très rapide sur l’attractivité de nos métiers et la valorisation de nos collaborateurs.

Enfin, cette crise a eu pour effet de nous renforcer et de nous unir, tous collectivement au sein de notre profession mais aussi avec nos clients et fournisseurs. L’un de nos défis sera de pérenniser cela.

Sur quels autres dossiers allez-vous avancer ?

Nous sommes en train de refondre la classification des emplois et l’identité de notre Observatoire des métiers ainsi que le site internet associé. Nous allons poursuivre nos travaux pour intégrer plus encore toutes les attentes sociétales et continuer à travailler à la réduction de l’empreinte carbone de nos activités. Nous faisons également évoluer notre label, en y adossant un système de classification avec des bonus valorisant des performances particulièrement élevées pour chacune des exigences du référentiel. Nous travaillons en parallèle à la reconnaissance et au positionnement de ce label dans le cadre des travaux portés par la Plateforme RSE mise en place au sein de France Stratégie.

Propos recueillis par Jean-Charles Schamberger

Lire et/ou télécharger Zepros Métiers Distributeurs RHD 12 - Juillet-Août 2021

Image
Laure Bomy
Jean Charles Schamberger
Partager sur

Inscrivez-vous gratuitement à nos newsletters

S'inscrire