[Top 100] Philippe Barbier : « Nous sommes très fiers des victoires de la CGI ! »

Jean Charles Schamberger
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Isabelle Bernet-Denin et Philippe Barbier. © Roben Prics

Entretien avec Philippe Barbier, président de la CGI, et Isabelle Bernet-Denin, directrice générale. Réalisé le 23 juin.

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Quel est le bilan du commerce de gros foodservice en 2020 ?

P. B. : Globalement, les ventes alimentaires hors boissons par les grossistes à la restauration, selon Gira Foodservice, sont passées de 20,2 Md€ à 13,6 Md€ entre 2019 et 2020, soit une baisse de 33 %. D’après les portefeuilles de clientèles et les gammes de produits vendus, la fourchette s’étend de - 20 % à - 35 %.

Les achats de la restauration commerciale indépendante ont ainsi diminué de 37 %, ceux de la restauration commerciale chaînée reculent de 34 %, ceux de la restauration collective en gestion directe et des SRC (ou SDR) sont respectivement en baisse de 28  % et 27 %. En restauration collective, la baisse est due au segment des écoles et à celui des entreprises, lequel était complètement à l’arrêt. À date, il l’est encore. Et de toute façon, l’augmentation du télétravail restera une tendance de fond que l’on peut situer à au moins 20 %, voire 25 %. Le segment de la santé a mieux fonctionné, mais, même dans les Ehpad, il y avait moins de repas, car les restaurants étaient fermés et la quantité des repas en chambres était proportionnellement moindre.

Les achats de produits frais – fruits et légumes, marée, viande de - 44 % à - 46 % – ont été un peu plus impactés que les achats de produits industriels, épicerie-conserves (- 27 %) et les surgelés (- 29 %). En ce qui concerne les segments, les cash & carry (-  28 %) ont un peu moins souffert que les grossistes livreurs (- 33 %) lesquels représentent deux tiers des approvisionnements hors boissons en RHD.

À noter que le « direct producteur  » – dont on parle souvent, mais qui ne représente que 6 % des achats de la RHD – a baissé lui aussi de 33 %. Précisons que tous ces chiffres n’intègrent pas les activités vers les clientèles boulangeries-pâtisseries, de boucheries-charcuteries, ou encore primeurs.

 

Avez-vous connaissance de défaillances ?

P. B. : Il n’y a pas tellement de dépôts de bilan chez les grossistes, et il n’y en a pas chez leurs clients. À date, les grossistes n’ont pas enregistré de trous dans leurs fichiers clientèle. C’était l’une de nos grandes craintes. Heureusement qu’il y a eu les aides.

I. B.-D. : Tout le monde est unanime pour reconnaître la réactivité et la qualité de l’accompagnement économique du gouvernement dans la crise. Nous avons beaucoup œuvré, évidemment, pour intégrer les secteurs du commerce de gros les plus en souffrance dans la liste S1 bis, pour avoir des aides renforcées, pour faire évoluer les dispositifs dans le bons sens pour nos adhérents, avec le fonds de solidarité, avec l’aide aux charges fixes, avec les exonérations de charges sociales et le chômage partiel.

P. B. : Dans nos fédérations, tout le monde est reconnaissant de ces victoires remportées par la CGI. Nous en sommes très fiers. Cela a toutefois été un combat épouvantable. La création de la liste S1 bis a été une première victoire… mais à la Pyrrhus ! Il a d’abord fallu faire de la dentelle, en fonction des codes NAF, pour ne pas oublier de secteurs. Nous nous sommes ensuite heurtés au problème des seuils. Nous avons proposé un «  seuil de la douleur » : Bercy demandait 80 % de perte de chiffre d’affaires, nos fédérations espéraient 30 %... Nous avons pu obtenir 50 % et nous avons réussi à faire sauter le seuil du nombre de salariés. Avec l’accord de leurs fédérations, des chefs d’entreprise sont venus avec nous dans les cabinets ministériels pour porter la parole des professionnels du terrain. Autre victoire de la CGI : l’aide aux charges fixes.

Enfin, comme nous craignions que le dispositif de chômage partiel devienne moins favorable, nous avons signé, dans le cadre de la convention collective nationale des commerces de gros 3044, un accord d’activité partielle de longue durée (APLD), dont certaines entreprises se sont emparées.

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Isabelle Bernet-Denin et Philippe Barbier. © Roben Prics
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Comment se déroule ce début de reprise ?

I. B.-D. : Depuis la mi-mai, on observe un rebond significatif de l’activité, rebond qui s’est accéléré en juin laissant espérer un retour à un niveau de chiffre d’affaires proche de celui de 2019. En outre, ce rétablissement d’activité apparaît solide et pérenne avec des perspectives plutôt encourageantes sur le 2e trimestre. Un bémol, toutefois, en ce qui concerne l’hôtellerie d’affaires et le tourisme international, notamment sur Paris.

P. B. : Si tout le monde refait le même été que l’an dernier et que nous n’avons pas un état sanitaire dégradé et que cela dure – nous pouvons être optimistes, mais nous n’en savons rien encore – alors, il y aura un rebond et 2021 sera meilleure que 2020. Il faudra toujours prendre en compte que le télétravail sera une tendance durable. Les sociétés de restauration collective vont devoir se poser des questions. Et leurs fournisseurs, s’ils sont lucides, savent qu’ils auront une perte de chiffre d’affaires sur le sous-segment du travail.

Quelles difficultés perdurent ou apparaissent ?

I. B.-D. : La première des difficultés est d’ordre social. La remise au travail des salariés dans des conditions proches de la normale ne se fait pas sans tension ni difficulté. Un accompagnement en interne sera nécessaire pour normaliser les choses. Un certain nombre de postes apparaissent particulièrement en tension avec des difficultés de recrutement, notamment sur les postes de préparateurs et de chauffeurs-livreurs, contraignant parfois à recourir à l’intérim. Cette tension de recrutement va également déboucher sur des tensions au niveau des salaires.

P. B. : Côté approvisionnement alimentaire, on note des tensions aussi, sur le frais en particulier. Il faut s’attendre à des tensions sur les matières premières agricoles, pour différentes raisons : gel, forte demande de la Chine, etc. Les grossistes distributeurs vont être confrontés dans leur compte d’exploitation à des hausses de prix sur les produits qu’ils achètent et à des hausses de salaires… sans parler des hausses du prix du pétrole.

Tout n’est donc pas rose encore. Il faudra sans doute mettre en place – comme c’est déjà le cas sur le périmètre BTP – un système de médiation avec les collectivités dans le cadre des marchés publics dont les prix sont bloqués. Il faut rédiger des clauses de sauvegarde… tout en incitant les collectivités à payer leurs factures en temps et en heure.

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Le nouveau baromètre de suivi du commerce de gros que vous allez mettre en place comportera-t-il un suivi de l’activité des grossistes foodservice ?

I. B.-D. : Nous travaillons actuellement pour remettre en place ce baromètre économique. Il tiendra compte de l’existant chez nos fédérations adhérentes, afin d’avoir des chiffres consolidés. Nous nous sommes aperçus, lors de cette crise, que les chiffres étaient le nerf de la guerre, c’est pourquoi ce baromètre, qui sera trimestriel, doit être agile, et, dans des situations de crise, il devra pouvoir produire des enquêtes « flash » afin de nourrir nos actions.

P. B. : Sur la question du foodservice, il faut que notre baromètre puisse distinguer la grande distribution, le commerce de proximité et la restauration (commerciale et collective). Sinon nous continuerons à avoir des chiffres dans lesquels les entreprises ne se reconnaissent pas du tout. Le risque c’est de perdre en visibilité et en accès aux marchés pour les industriels. C’est pourquoi les grossistes doivent comprendre que la transparence est cruciale, d’où la nécessité de communiquer leurs chiffres.

Qu’avez-vous appris de cette crise ?

P. B. : Nous avons appris, ou plutôt encore plus compris l’intérêt de l’agilité, de la rapidité, et, encore plus, du travail collaboratif. Nous avons progressé, comme dans une entreprise.
Nous avons aussi mieux collaboré que dans le passé avec la filière : la FNSEA, l’Ania, le Géco, Restau’Co, l’Umih et le GNI , etc. Il faut garder tout cela en veille, pour la suite, afin de pouvoir être réactifs et organiser une réunion d’urgence, publier un communiqué, en cas de besoin s’il se passe quelque chose.

Propos recueillis par Jean-Charles Schamberger
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Jean Charles Schamberger
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