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[Bernard Boutboul, Gira] : « Il est nécessaire de se repenser profondément »
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Entre mesures barrières, tourisme au ralenti, attentes nouvelles et usages émergents des clients, quels sont les grands vainqueurs et les grandes leçons à tirer de la crise ? Bernard Boutboul, président du cabinet Gira, revient pour nous sur cette période si incertaine de sortie de confinement.
Quel regard portez-vous sur cette période de reprise post-confinement ?
Elle n’a pas du tout été progressive et, surtout, elle s’est déroulée à trois vitesses : il y a les restaurants qui ont repris leur activité quasiment comme avant. A contrario il y a ceux qui se situent dans des emplacements touristico-estudiantins, comme Paris, et qui sont en grande difficulté. Les touristes ne sont pas là, les étudiants ne sont plus là et le télétravail fonctionne encore énormément : or, ces trois cibles sont des énormes consommatrices de restauration. Et il y a une troisième catégorie qui fonctionne plus qu’avant : tous les concepts festifs, les endroits où on va boire des verres, où il y a de la musique, de l’ambiance. Ceux-là ont connu une déferlante de nouveaux clients frustrés par le confinement, buvant et mangeant plus que d’habitude. Nous avons des clients restaurateurs de ce type qui ont même dû refuser du monde à la réouverture. Il faut jouer sur le côté festif et expérientiel.
Quelles autres leçons tirez-vous de la crise ?
Il y a deux choses positives que je perçois : d’abord une accélération de la digitalisation phénoménale. Hier on disait que le digital c’était pour la génération Z et que les plus de 50 ans n’en avaient que faire. Pendant le confinement tout le monde a été contraint d’utiliser le digital et internet. La génération X a découvert qu’avec un téléphone ou une tablette on pouvait faire plein de choses comme commander un repas et se faire livrer à la maison. La seconde conséquence positive est côté restaurateurs. Cela les a obligés à se repenser et à se réinventer. Ceux qui réouvre comme ils ont fermé vont dans le mur. Il faut réviser sa carte, réviser son concept, faire de la restauration autrement. Il fallait profiter de ces trois mois d’arrêt forcé pour se repenser profondément. Je pense que les indépendants vont sortir leur épingle du jeu car ils sont agiles. C’est plus eux qui ont compris qu’il fallait se réinventer que les chaînes. Quand vous êtes le Titanic vous avez du mal à virer, une barque tourne en deux secondes.
Quid de la livraison et du click & collect qui semblent sortir grands vainqueurs de la période ?
Je crois moins à la pérennité du boom de la livraison qu’à celui du click & collect et du drive. Dès le mois de mars nous avons orienté des restaurants gastronomique et de bistronomie vers le drive haut de gamme afin qu’ils continuent à réaliser du chiffre d’affaires. Le restaurant charge le coffre du client, propose du packaging de haut niveau, une petite fiche qui explique la remise en œuvre comme le dressage etc. Notre client gastronomique alsacien a fait ainsi jusqu’a 300 couverts par jour, les clients ont adoré. Qui aurait pensé il y a quelques mois qu’un gastro allait faire du drive ? Aujourd’hui il faut se repenser car tout est possible, il ne faut surtout pas fermer la porte à des leviers de CA qui ne sont pas dans son ADN ou sa culture. Mais il est vrai que le développement de la vente à emporter en click & collect nécessite une organisation particulière, voire parallèle. C’est pour cela que certains restaurants gastronomique ou de bistronomie imaginent aujourd’hui la création de dark kitchens.
Comment envisagez-vous les semaines et mois à venir ?
Nous allons vivre trois temps. Il y a bien sûr cet été. Malheureusement pour la catégorie qui vit du tourisme cela sera difficile. Il y a des palaces fréquentés par la clientèle internationale qui ne réouvreront pas. Ceux qui ne vivent pas du tourisme mais avec une clientèle normale vont passer un bon été, pas fantastique mais satisfaisant. Après, il y aura la période de la rentrée. On va monter d’un cran et commencer à reprendre nos petites habitudes comme avant. Troisième période : l’approche de Noël. Je suis intimement persuadé qu’elle sera nettement supérieure à la fin de l’année 2019. Il y a franchement un moment sur lequel les Français ne font pas l’impasse sur le plaisir : c’est Noël et jour de l’An.
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