
Quel avenir pour les filières et labels qualité en boulangerie ?

Ces 20 dernières années, les logos et allégations se sont multipliés dans l'enceinte des boulangeries. Bio, Label Rouge, CRC, ... autant de noms qui tentent de se faire une place au sein d'un univers où la confiance entretenue entre un professionnel et son client vaut souvent bien plus qu'une marque aux contours flous.
Il y a 90 ans naissait l'INAO. Quatre lettres pour signifier Institut national de l'origine et de la qualité. L'organisme d'état, né au début du XXe siècle en réponse à une crise viticole, a vu sa dénomination et son fonctionnement évoluer au fil du temps. Il est en charge de la mise en œuvre de la politique française relative sur les signes officiels d'identification de la qualité et de l'origine (SIQO) rattachés au produits agricoles et alimentaires : Label Rouge, AOP, AOC, IGP, STG, Agriculture Biologique, autant de marqueurs bien connus des consommateurs tant ils se sont implantés dans les rayons des distributeurs. Côté boulangerie, le Label Rouge et l'Agriculture Biologique ont connu un essor notable depuis le début des années 2010. Rares sont désormais les meuniers ne disposant pas de farines issues de ces filières à leur catalogue.
Des pratiques à rationaliser
La multiplication de ces démarches qualité a un coût : côté meunier, il est nécessaire de multiplier les silos de stockage pour isoler chaque matière première, en plus de créer des références dotées d'une identité (sachet, communication...) spécifique. En plus des labels placés sous la responsabilité de l'INAO et des Organismes de gestion (ODG), des filières privées se sont développées, à l'image du CRC®. Imaginée à ses débuts pour l'alimentation infantile, la démarche défend une culture raisonnée, sans traitement après récolte, avec des pratiques favorables à la biodiversité. La problématique de telles démarches est la reconnaissance côté consommateur : comment devenir une véritable marque, à même de peser sur les décisions d'achat ? La multiplication des acteurs engagés dans ces filières permet d'en accroître la visibilité... avec le risque de perdre en lisibilité et de rassembler sous leur bannière des entreprises aux valeurs bien différentes. Pour les artisans, il devient ainsi difficile de partager un même logo avec des entreprises industrielles, ce qui peut les inciter à renoncer à communiquer sur ce sujet. Difficile également de faire la différence, côté client cette fois, entre une matière première et un produit fini labellisé. L'utilisation d'une farine Label Rouge est souvent mise en avant, ce qui est bien différent d'une baguette Label Rouge, qui répond à un cahier des charges spécifique développé par le Club le Boulanger (avec la marque Bagatelle). Dès lors, le professionnel pourrait être tenté de miser sur la relation de confiance bâtie avec sa clientèle plutôt que sur des marques peu lisibles.
Les filières face aux enjeux économiques et climatiques
Les difficultés peuvent ne pas être liées au produit ou à la démarche en eux-mêmes, mais à un environnement défavorable. L'Agriculture Biologique a ainsi traversé une crise dès 2022, face à l'inflation : la baisse du pouvoir d'achat a détourné les clients du label, alors même que les coûts de production s'envolaient. Les volumes de production de farine labellisée Bio se sont contractés, passant de 155 à 139 milliers de tonnes entre 2021 et 2024. Il aura fallu attendre près de deux ans pour que la situation se redresse, même si les agriculteurs impliqués dans la démarche demeurent sous tension. Pour Ludovic Brindejonc, directeur général d'Agri-Ethique, l'aspect économique est primordial pour aborder la transition environnementale. "De nombreux cahiers des charges se sont développés en basant leur fonctionnement sur des primes par rapport au prix du marché. Ce modèle est soumis aux aléas des cours mondiaux, ce qui les rend fragiles", défend-t-il. La logique serait alors de se baser sur les coûts de production pour construire le prix d'achat, tel que le promeut la démarche de commerce équitable nord-nord, ce qui permet de verrouiller le socle économique pour financer le changement.
L'urgence climatique rend cette transformation aussi complexe que périlleuse... avec le risque de ne pas être en mesure d'approvisionner les meuniers et boulangers. Ce fut le cas pour la Filière CRC© suite à la campagne 2024. L'excès de pluviométrie observé sur cette dernière ayant drastiquement réduit les rendements, les grains ont manqué au printemps 2025, poussant plusieurs acteurs engagés dans la filière à se tourner vers d'autres sources d'approvisionnement. L'été 2025 aura permis à la démarche de regagner en optimisme, avec 570 000 tonnes de céréales récoltées (soit une hausse de 32% par rapport à la campagne précédent), ce qui permettra d'approvisionner sans difficulté l'ensemble des opérateurs. Reste cependant que les incidents climatiques sont amenés à se multiplier dans les années à venir, imposant aux labels de gagner en réactivité pour adapter leurs cahiers des charges afin de s'assurer de la fidélité de leurs partenaires. Faute de quoi la belle vie des labels pourrait bien s'achever... en boulangerie comme ailleurs.