Livraison : la fin d’un modèle ?
Grèves des livreurs partout dans le monde, législation qui change dans différents pays européens, l’« ubérisation », comme on l’appelle, est remise en question. Certaines plateformes de livraison adoptent le salariat, les coopératives s’organisent, les indépendants créent leur propre structure. Est-ce la fin du modèle ?
Avec un chiffre d’affaires de 4,9 Md€ en 2020, la livraison de repas à domicile a connu une croissance de 47 % depuis 2018. Le marché est dominé par les plateformes (Deliveroo, Uber Eats, Just Eat-Take away.com...) qui ont la main mise sur 7 commandes sur 10, contre seulement 1 sur 2 en 2019. Deliveroo, qui a récemment fait son introduction en bourse à la City, a vu son action plonger de 30 % le premier jour, alors que la société était capitalisée à 7 M$. L’opération, qui aurait dû être juteuse, s’est faite sur fond de rébellion mondiale des livreurs, qui partout organisaient des manifestations pour dénoncer le modèle social de l’entreprise. Car ses géants de la livraison ont fondé leur succès sur la fameuse « ubérisation » du monde du travail. Un modèle dans lequel les livreurs ne sont pas salariés de l’entreprise, mais indépendants. Ils seraient environ 100 000 à être concernés.
En Europe, la colère gronde
Uber Eats France déclare travailler avec 40 000 livreurs indépendants, Deliveroo France 14 000. Or, en Europe, la colère gronde. En Espagne, la « loi Riders », inscrite dans le Code du travail, considère désormais les livreurs comme salariés à part entière. Même chose en Italie, où le parquet de Milan a donné trois mois aux plateformes pour régulariser 60 000 livreurs et une amende de 733 M€. Idem au Royaume-Uni, pourtant connu pour son libéralisme débridé, là la plus haute juridiction a sommé Uber de requalifier ses chauffeurs comme travailleurs. D’ailleurs, Deliveroo a mis de côté 130 M€ pour couvrir le coût du passage de certains livreurs en salariés.
Et en France ?
SI Just Eat a décidé de salarier ses livreurs (cf. Zepros n° 52 ), la cour d’appel de Paris a confirmé dans un arrêt du 7 avril, portant sur un contentieux individuel, l’indépendance des livreurs. Cependant le 21 avril, le gouvernement a pris une ordonnance sur la représentation des travailleurs indépendants. Celle-ci fait suite au travail effectué par la commission Mettling, missionnée par la ministre du Travail Elisabeth Borne début 2021. Concrètement, les livreurs français vont pouvoir élire des représentants syndicaux. Les élections auront lieu d’ici un an. Chez Uber, on se félicite de cette ordonnance « qui va permettre de faire émerger un dialogue social sectoriel en vue de mettre en place des protections renforcées ». Tout comme chez Deliveroo France, qui a initié, fin 2019, le Forum des livreurs. Composé de 25 livreurs élus par leurs pairs, il se réunit 4 fois par an. « Nous sommes fiers d’avoir mis sur pied cette instance pionnière en France », explique Damien Stéffan, porte-parole de Deliveroo France. Uber Eats aussi fait du dialogue social et a organisé plus de 40 tables rondes en 2020 auprès de 15 000 livreurs et échanger avec le Collectif des livreurs autonomes de Paris (Clap).
Plateformes indépendantes et Scop
Face aux grosses plateformes, des sociétés indépendantes de livraison « éthique » se créent (Resto.Paris, Tip Toque, RXEat , Lyon Eats …). On compte une vingtaine de coopératives en Province. Celles-ci sont fédérées par l’association CoopCycle. Si le modèle présenté se veut « éthique et responsable », les commissions affichées moins importantes, il est nécessaire de regarder l’ensemble du service proposé, car bien souvent, le restaurateur se retrouve à devoir payer ailleurs, ce qu’il ne verse pas en commission. Quant aux livreurs, tous ne souhaitent pas être en CDI et préfèrent conserver leur indépendance. Le choix est possible, à eux de savoir pour qui et comment ils veulent travailler.
Myriam Darmoni- Photo DR
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