Qu’est-ce qu’un vin bien élevé ? - Chapitre 2 : l’élevage en amphores
Alternative au bois, la terre est de retour dans les chais. Quels types de céramique sont utilisés dans le domaine œnologique ? Qu’apportent les jarres au précieux nectar ? On fait le tour de l’amphore avec Antoine de Oliveira, régisseur du Château Hourtou (Côtes de Bourg), à l’origine d’Ondulations, une cuvée élevée dans du grès qui fait carton plein en restauration.
Art et science, l’élevage du vin n’a cessé d’évoluer au grès des découvertes œnologiques, des modes et des contraintes du marché. Plus solide et plus maniable, le tonneau s’impose dès les IIe et IIIe siècle de notre ère (lire ici l'article qui lui est consacré). La vinification en amphores ne persiste que çà et là en Europe, notamment en Géorgie, où les raisins en grappes entières sont laissés à fermenter pendant plusieurs semaines dans des jarres oblongues en terre cuite enfouies sous terre qui portent le nom de qvevri. Les vins peuvent ensuite rester des mois voire des années dans ces grands contenants (de 800 à 200 litres). Après avoir observé sur place ce mode de vinification traditionnel, inscrit en 2013 au patrimoine culturel immatériel de l’Humanité par l’Unesco, un vigneron italien le remet au goût du jour dans les années 2 000. Porté par l’envie d’en finir avec le surboisé, le retour à la terre a désormais essaimé dans le monde entier.
Le renouveau du Bordeaux
Le vignoble bordelais, qui souhaite tourner la page Robert Parker et son palais friand de la sucrosité et des notes vanillées et épicées apportées par le fût, n’est pas en reste. Castel Frères, aux avant-postes de la modernisation de la région, lance avec le millésime 2019 la cuvée Ondulations. « Nous souhaitions surprendre nos clients, cavistes comme restaurants, en leur proposant un vin souple, sur le fruit, loin du cliché des crus trop boisés » explique Mathieu Verdun, directeur des clients nationaux pour la RHF. L’objectif ? Obtenir de la buvabilité, un flacon compagnon de (c)route à l’apéro ou tout au long du repas.
Le Château Hourtou et ses 25 hectares en Côtes de Bourg, certifié Terra Vitis depuis 2013, semble la propriété idéale. Ses sols argilo-sableux, légèrement graveleux, permettent de garder finesse et fruité dans les vins. Antoine de Oliveira, régisseur du Château, et Julien Belle, œnologue-conseil chez Oenoteam, se lancent alors dans différents essais, avec des jarres en terre cuite produites en Chine selon une méthode ancestrale et des amphores fabriquées à la main par l’atelier transalpin Tava. Après des années d'expérimentation, l’entreprise italienne a créé un mélange des principales familles de produits céramiques dont la porosité s’adapte aux demandes de chaque cave. Car c’est bien là l’élément clé de la vinification en amphore : laisser passer un peu d’oxygène, mais sans l’apport aromatique du bois. Autrement dit, la terre est de nouveau en odeur de sainteté pour sa neutralité... olfactive.
De son plein gré
Les amphores, choisies avec une faible porosité, proche de celle du grès, sont adoptées et le nom de la cuvée est trouvé. Baptisée Ondulations, elle rend hommage aux courbes vallonées du vignoble et aux mouvements de convection perpétuels dans les contenants aux contours galbés.
Le choix des parcelles et des cépages s’effectue lors des toutes premières phases de vinification et il est susceptible de varier chaque année. Un critère unique préside : la pureté et la netteté du fruit à la dégustation. Si le premier assemblage donnait la part belle au Merlot et au Malbec, dans celui du millésime 2021, qui sera mis en bouteille à la fin du mois d’avril, le Cabernet franc est majoritaire. Une fois sélectionné, le jus fermenté est élevé six à 12 mois dans une douzaine d’amphores de 750 litres. Antoine de Oliveira ne leur trouve que des avantages. Contrairement au bois qui s’épuise rapidement avec son usage répété, elles ont une durée de vie quasi illimitée et « les effets sont les mêmes chaque année ». Nettement plus faciles à nettoyer que les barriques et avec une meilleure isolation thermique — un à deux degrés d’écart est observé entre les contenants en céramique et en chêne pourtant dans le même chai —, les risques qu’elles soient contaminées par des micro-organismes sont, à l’inverse, bien plus limités. Enfin, la consume, c’est-à-dire la perte joliment appelée « part des anges », est quasi nulle alors qu’elle représente 5 à 6 % pour un fût.
Et dans le verre ?
À l’arrivée, un résultat « bluffant » selon Antoine de Oliveira. Non simplement le fruité est intact mais la micro-oxygénation lui offre longueur et stabilité dans le temps. Une fois la bouteille débouchée, les jolies notes de fruits rouges persistent, portées par un toucher de bouche velouté. Mieux : le vin ne s’affaisse pas, il prend de l’ampleur, pour le plus grand bonheur des consommateurs. Autre atout, plus inattendu celui-ci : les vins semblent taillés pour la garde. « Les 2019 sont encore excellents à boire aujourd’hui et j’ai la conviction que cette cuvée peut durer dans le temps, jusqu’à dix à quinze ans ». Un enthousiasme partagé puisque « les retours sont excellents et la demande excède l’offre » précise Mathieu Verdun. Casser les codes permet aussi de construire l’avenir et les lignes droites ne sont pas le seul moyen d’y parvenir.